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Geoffroy Vallée, tout feu feu, tout flamme

De combien de kilos de papier se compose la théologie ? Et de combien de tas de cendres ? Si l’un peut se transformer en l’autre, il ne s’agit pas toujours d’autodafés. Ce sont parfois les corps, les esprits, les âmes qui s’y brûlent les ailes. Pourtant, la théologie est un arbre étrange et bigarré dont les fruits sont si divers qu’ils peuvent sembler des aberrations. Croquez la pomme, et vous voilà expulsé de l’Éden scolastique. Au prix du sang, trop souvent. Voyez les Cathares ; voyez Servet.
Le 9 février 1574, à Paris, un cadavre se consume sur le bûcher, celui d’un homme pendu quelques instants auparavant. Sa ténébreuse légende en a fait un « jeune éventé » ; certains écrivent qu’il a la vingtaine, d’autres qu’il n’a que seize ans, adolescent révolté presque rimbaldien. En réalité, comme l’ont désormais prouvé Alain Mothu et Patrick Graille, Geoffroy Vallée est déjà quinquagénaire, donc un vieillard, lui qui est né aux alentours de 1520. Enfant d’Orléans, ville qui paraît prédestiner à la combustion, il appartient à cette caste de petits notables qui se tiennent en équilibre instable entre la vieille bourgeoisie et une petite noblesse en devenir. Juriste, il a fait ses classes dans l’université de sa cité natale, que fréquentèrent Calvin et Bèze, et qui devait devenir une sorte de « petite Genève ».

Héritier de la charge paternelle, il est cité, dans certains documents, comme contrôleur du domaine. C’est donc un notable cultivé, et non, comme le prétendent l’éructant Calottin Garasse et, à sa suite, Frédéric Lachèvre ou Albert Monod, un simple d’esprit ou un déséquilibré. Archives à l’appui, les rares historiens qui étudièrent sérieusement son cas ont pu montrer que son cercle familial vivait dans l’imprégnation des idées réformées. Est-il alors coupable parce qu’il incline, avec les siens, vers le calvinisme ? Non pas. Ce dont on l’accuse, non sans quelque raison, c’est d’avoir glissé vers la plus radicale dissidence, permettant ainsi à ses adversaires papistes de prétendre que le protestantisme ne peut conduire qu’à l’impiété. Son libertinage singulier, il le donne à lire dans un opuscule rédigé vers 1572, La Beatitude des Chrestiens, ou le Fleau de la foi. Pour être minuscule, cet écrit fera couler l’encre avant de faire jaillir le sang. L’auteur, vent debout, y part en guerre contre la « folle foi ». C’est d’abord Rome qu’il condamne, qui, par ses superstitions, éloigne le fidèle de l’authentique croyance. Pire encore, il ménage un peu les parpaillots, qui ont su s’arracher des mensonges pour retrouver la route qui mène au divin. Mais cela ne suffit pas. Pour s’engager sur le chemin de Dieu, dans cette gnose, il faut marcher « par toutes voies et sciences à ce savoir, parce que toutes les sciences ne sont que pour cette connaissance et science-là qui se nomme Sapience […] car Dieu veut tout avoir et être connu en tout, lui qui est si grand se connaît par les grandes sciences ».

Mystique de la science ? Pourquoi pas. Ce que prêche Vallée, c’est bien la fin des Églises, paradoxalement trop terrestres. Pour lui, le savoir est insécable de la grâce. Connaître n’est pas s’enorgueillir, mais s’arracher des fables anthropocentriques, pour se réconcilier enfin avec le Créateur. Certes, son odeur de soufre enflammera les narines des athées. Mais il y a là une part de contresens. Disons que, malgré lui, il ouvre la brèche où s’engouffrera cette lignée de protestants, parfois spinozistes, qui refuseront la science sans conscience

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À propos Samuel Macaigne

Docteur en littérature française, il enseigne actuellement les lettres modernes dans un lycée de la banlieue parisienne.

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