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La Croix est-elle le cœur de la foi chrétienne ?

 

Faut-il en finir avec ce symbole du christianisme qu’est la Croix, le plus souvent comprise sous le registre du sacrifice expiatoire ? Paul serait le principal coupable qui affirme : « Car j’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié ! » (1 Co 2,2). Mais, avant lui, Jésus n’est pas en reste qui soutient : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se nie lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive » (Mt 16,24)

La crucifixion, interprétée à partir de la Résurrection, occupe une place centrale dans la pensée de Paul. Pour lui, la Croix atteste de façon paradoxale la divinité et l’altérité de Dieu : il se révèle différent de ce que l’on attend de Lui. Il est là où on ne va pas le chercher, dans la mort d’un crucifié (1 Co 1,18-25). On est loin ici de la logique sacrificielle traditionnelle où il s’agit d’apaiser la colère d’un Dieu qui réclame une victime expiatoire substitutive. À la croix, c’est Dieu qui se rend solidaire de l’homme rejeté. C’est lui qui « sacrifie » sa divinité, en quelque sorte, pour se laisser rencontrer là où personne n’irait le chercher. S’il y a un sacrifice, c’est celui d’une représentation d’un Dieu Tout Puissant et redoutable. À la suite de Paul, la croix du Christ cristallisera ainsi le thème de la mort de Dieu : ce n’est pas seulement l’homme Jésus qui meurt sur la croix, mais Dieu lui-même. Or, parler de mort de Dieu — comme Luther osa le faire en son temps — c’est dire qu’à la Croix il y a la mort d’une certaine figure divine. Le sacrifice, si sacrifice il y a, porte sur ce point : il s’agit du sacrifice du Dieu qui réclame des sacrifices et qui en tire une satisfaction. Abraham allait offrir son fils en sacrifice (Gn 22), et puis c’est un bélier – symbole de la divinité archaïque, du père primitif – qui est tué : c’est une figure imaginaire du père qui doit mourir. Ici, c’est une figure imaginaire de Dieu qui meurt sur la Croix  et que figure le Christ lorsqu’il prie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Il y a le dieu qui abandonne Jésus, il y a ce que Jésus abandonne de dieu, ce que nous devons donc abandonner et laisser mourir de dieu. Et c’est cela qui est en question à la Croix. Au fond, la manifestation de l’amour gratuit de Dieu ne peut pas se faire sans un sacrifice, sans une perte, qui est le sacrifice du dieu qui réclame des sacrifices.

Comment comprendre, dans cette perspective, la parole de Jésus : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se nie lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive. En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perd sa vie à cause de moi, la trouvera ».

Il ne s’agit pas de nier ce qui nous constitue au plus profond de nous-mêmes, notre sujet en quelque sorte, ce qui fait notre singularité et que seul Dieu, pas même nous, connaît pleinement : l’intime ! Il s’agit de se nier soi-même, c’est-à-dire le moi qui n’est pas le sujet, mais un conglomérat d’images avec lesquelles je me construis devant les autres, images certes indispensables mais qui ne disent pas l’essentiel de ce que je suis, ou plus précisément ce que le je est. Ce moi il convient effectivement de le nier, c’est-à-dire de nier qu’il puisse fonder authentiquement, solidement et durablement l’existence. De le mettre sur la croix, pas celle du Christ, mais celle que je porte, la mienne, celle de ce moi auquel je ne cesse de sacrifier ma vie, espérant ainsi la sauver alors qu’elle se perd en se repliant sur elle-même, c’est-à-dire sur mon ego. On le voit, libérée d’une interprétation expiatoire, la Croix garde toute sa pertinence pour, avec Paul, parler de Dieu, et avec Jésus parler de l’humain. Encore faut-il faire l’effort de l’interpréter. Il est sans doute plus facile, mais très dommageable, de l’évacuer !

 

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À propos Élian Cuvillier

est ministre de l’Église Protestante Unie de France. Après avoir enseigné le Nouveau Testament pendant plusieurs années à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Montpellier), il est aujourd’hui en charge du Master en théologie appliquée, dans lequel il encadre les futurs pasteurs.

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