Le sous-titre de l’exposition est « Des images pour ne pas se prosterner ». Pourquoi ? Ce qui peut provoquer la prosternation devant une image religieuse, c’est la conviction qu’elle est porteuse de sacré. La caricature et l’humour, eux, déstabilisent les certitudes et font disparaître l’envie de prosternation. Ces images ont donc par nature une fonction de profanation et de dénonciation du sacré. Dès lors, ces images ne tombent pas sous le coup du commandement de Dieu : « Tu ne te feras point d’image taillée… tu ne te prosterneras point devant elles. » Souvent la deuxième partie est oubliée alors qu’elle est la plus importante. Les images ne sont pas interdites, c’est le fait de se prosterner devant elles qui l’est. Les caricatures sont puissamment anti-prosternation, elles répondent paradoxalement au commandement en faisant de l’image un antidote à la prosternation.
On a découvert en 1856 ce qui est probablement la plus vieille caricature du christianisme ! Parlez-nous de ce graffiti.
Lorsque nous avons décidé de mettre cette caricature deux fois millénaire dans l’exposition, c’était pour rompre avec l’idée que la caricature serait un effet d’une modernité sécularisée. Les caricatures sont très anciennes. Cela fait longtemps que le sacré provoque la profanation. Ce qui est frappant dans ce graffiti daté entre le Ier et le IIIe siècle, c’est que c’est la première fois qu’une croix est référée explicitement au Christ. D’ailleurs, à cette époque-là, l’emblème du christianisme n’est pas encore la croix, mais le poisson. C’est un dessin gravé par un païen dans le plâtre d’une salle de garde sur le Mont Palatin. L’auteur se moque d’un certain Alexamenos parce qu’il adore un crucifié juif. Le moqueur a bien vu où était le paradoxe de la foi des chrétiens qui, au lieu d’adorer un dieu puissant, adorent un crucifié ! Comme souvent, une caricature témoigne en creux d’une juste compréhension de ce qui est moqué. Le Sanhédrin a décidé de mettre à mort Jésus car il le considérait comme blasphémateur. Que le christianisme ait comme emblème une croix sur laquelle son Seigneur a été crucifié comme blasphémateur aurait dû définitivement immuniser les chrétiens contre toute condamnation du blasphème. Et le fait que la première croix identifiée comme chrétienne (même si ce dessin est d’origine païenne) soit une caricature devrait construire un rapport particulier du christianisme à la caricature.
Les pays du nord, plutôt protestants, semblent ne pas recevoir les caricatures de la même manière. Y a-t-il selon vous une spécificité ?
Que la crise des caricatures de Mahomet soit née d’un projet bienveillant d’illustration d’une vie de Mahomet, au Danemark, pays protestant, n’est sans doute pas un hasard. Et que cette crise se soit radicalisée en France n’est pas un hasard non plus. S’il y a en France une longue tradition de la caricature du politique et de la caricature religieuse, il y a aussi une spécificité, car la laïcité française et d’une certaine manière, la liberté d’expression ont dû s’imposer contre la religion dominante. Elles se sont souvent construites dans un mode conflictuel anticlérical.
J’ai envie de vous poser la question que pose Jean- Pierre Molina sur le panneau introductif de l’exposition : « Dieu est-il marrant » ?
Toute affirmation sur Dieu et forcément anthropomorphique, donc la question devrait plutôt être : les dévots de Dieu sont-ils marrants ? On est tenté de répondre non… à commencer par nous, protestants, qui ne sommes pas toujours réputés être des gens rigolos !
La Bible, elle, est pleine d’humour. Le Livre de Jonas est truffé d’humour et d’ironie. Jean-Pierre Molina dit que la Bible ne parle que par caricature, que ses personnages et les situations sont des caricatures. Comme toutes les caricatures celles de la Bible sont à la fois déformées, exagérés et ressemblantes. Car dans la caricature, c’est l’exagération et la déformation d’un détail qui fait la ressemblance. En ce sens, la caricature est pédagogique. Jésus lui-même manie donc la caricature mais il provoque de la violence contre lui car si l’humour peut être pédagogique et accepté comme force libératrice… il peut aussi être rejeté car représentant un danger, une remise en question, une déstabilisation. Paul écrit : « là où est l’Esprit de Dieu, là et la liberté ». Si l’on peut associer au mot esprit les sens de spiritualité et d’humour, c’est parce que l’humour peut aussi nous libérer de nos scléroses, de la préoccupation de nous-même. En ce sens, si Dieu est libérateur alors il est forcément marrant.
propos recueillis par Alain Mahaud
(L’exposition Traits d’Esprit peut être mise à disposition : contact@latelierprotestant.fr)
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