Me voici en train de vérifier la pression de mes pneus de voiture dans une station-service de la paisible commune d’Auvergne où je suis en vacances, lorsqu’une violente altercation éclate entre deux automobilistes qui s’accusent mutuellement d’avoir pris la place l’un de l’autre dans la file d’attente orientant vers l’une ou l’autre des pompes à essence. Sortant de leurs voitures, ils s’injurient sans retenue, prêts à s’empoigner, seulement séparés par un motard silencieux. Colère, violence, voire haine latente que rien ne justifie, tétanisent tous les spectateurs ébahis et saisis. Cinq minutes « lunaires » passent, occupées par violences verbales et menaces physiques… avant que tout ne retombe, faute d’autre issue possible face à l’absurdité de la situation. En revanche, le malaise s’est glissé en chacune des personnes qui se repasse cette scène semblable à tant d’autres que l’on peut vivre au quotidien, et pas seulement dans les grandes métropoles.
Je m’interroge alors. Pourquoi cette multiplication de pics de violence incongrue entre personnes inconnues, vivant dans notre monde dit civilisé ? Est-ce le retour de la « saison » du bouc émissaire dans notre monde en crise, comme le suggérerait René Girard, selon laquelle tout autre individu suscite haine ou violence à qui se sent lésé dans son propre référentiel individualiste de justice ? Peut-être… mais pas seulement, car je ne crois pas à l’apocalypse imminente que le même René Girard entrevoit en conclusion de son système pourtant intéressant d’explication des sociétés humaines. Ma foi me dicte le contraire et m’invite à l’espérance optimiste. Je pense alors à Rousseau dont le pacte social commun de société ne trouvait sa stabilité que grâce à une religion médiatrice, sans que cette dernière n’existe d’ailleurs en un modèle unique idéal.
Faut-il donc se lamenter de la sécularisation du monde qui gâche tout ? Non plus, me semble-t-il. Une piste tout de même. Souvenons-nous avec Charles Péguy que « la morale est un enduit qui rend imperméable à la grâce ». Ne « moralisons » donc pas cette violence, culpabilisés, tétanisés ou accusateurs ; mais, en responsables de notre prochain comme de nous-mêmes, combattons-la au contraire de toutes nos forces, dès les plus petites prémices rencontrées, éclairés par la grâce qui nous aidera à distinguer l’anormal dans l’habituel. Cela m’a ragaillardi et, mes pneus regonflés, j’ai pu repartir !
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