Nos actes constituent une manière, généralement altruiste, d’incarner ce que nous croyons. Ils témoignent d’une cohérence entre ce que nous disons et faisons. Ils rendent crédibles nos convictions. Ils en permettent une forme de vérification. D’où la nécessité d’articuler toujours engagements et réflexion. Faute de quoi on glisse très vite de l’agir à l’agitation et de l’action à l’activisme ! Car l’action, de par sa nature et sa nécessaire efficacité, peut conduire à des simplifications qui méconnaissent la complexité du réel. Il arrive aussi, parfois, que l’indignation légitime devant le scandale du mal, conduise les émotions et les passions à prendre le pas sur les analyses lucides. C’est pourquoi il est important que les organisations militantes disposent de temps et de lieux de distanciation, afin de problématiser, discuter, évaluer, leurs engagements. Pour le croyant, cette tâche consiste à mettre en corrélation la traduction pratique de sa foi, son incarnation concrète, avec le référentiel biblicothéologique sur lequel elle se fonde, réalisant ce que Paul Ricœur appelait un « cercle herméneutique ». Cette expression signifie que la Bible, la théologie, orientent et interrogent les choix éthiques, les actions, les engagements du chrétien et, réciproquement, ce corpus de textes fondateurs de la foi est constamment sollicité, questionné, interprété par le croyant à partir des réalités du monde.
Pour la mise en œuvre de ce va-et-vient permanent et fécond, l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) dispose de diverses instances et, parmi elles, une commission de théologie. Le premier mot du titre, « action », indique que le but de cet organisme chrétien est bien d’abord d’agir. En effet, ses membres, par différents moyens, luttent pour l’abolition de la torture et de la peine de mort. Ils se mobilisent contre les traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ils défendent les droits de l’homme par une vigilance au quotidien. Ils débusquent les risques d’atteinte à la liberté et à la dignité humaine. Ils se solidarisent avec ceux qui sont emprisonnés, persécutés, torturés de par le monde. Il importe alors que ces acteurs puissent avoir des lieux de débat, de formation, de retour sur les pratiques, nourris de réflexion théologique, d’approfondissement biblique, de ressourcement spirituel, afin de replacer en permanence leurs engagements devant la Parole qui les fonde.
La commission de théologie n’a pas de monopole en la matière. Elle n’est pas davantage une sorte de magistère disant la bonne doctrine. Son cahier des charges lui demande simplement d’être au service des militants et instances qui peuvent la solliciter pour un avis sur d’éventuels enjeux ou questions théologiques. Elle même a la possibilité de se saisir d’une problématique qui lui paraîtrait essentielle du point de vue de la mission de l’ACAT ou du contexte sociétal. Les résultats des travaux de la commission peuvent être communiqués en interne, utilisés par certaines de ses instances, mais aussi diffusés largement par les moyens d’information de l’association ou lors d’intervention de ses membres. Ils sont également formulés à l’occasion de colloques que la commission a vocation à organiser, sur des thèmes choisis en relation avec les organes directeurs, conseils et commissions.
Compte tenu de la réalité de l’ACAT et de ses buts, la commission de théologie travaille dans plusieurs directions. De manière fondamentale, dès lors qu’il s’agit des « droits de l’homme », elle est régulièrement amenée à réfléchir sur des enjeux anthropologiques : qu’est-ce que l’humain, sa liberté, sa dignité, ses droits inaliénables… Ouverte aux réalités socio-politiques du monde, elle doit s’efforcer d’en comprendre les enjeux et d’en analyser les défis à la lumière de l’Évangile. L’ACAT étant œcuménique de fondation, la commission doit garder vive la conscience des différences entre les traditions théologiques qui la composent (orthodoxe, catholique, protestante…) ; avec ce qu’elles impliquent sur le plan éthique, ecclésiologique, spirituel… Au service d’une organisation militante, la commission fournit, à la demande, des éléments bibliques et théologiques, des textes de méditation, des suggestions pédagogiques, en vue de la formation de ses membres. Elle peut aussi contribuer à sensibiliser les fidèles des Églises qui ne sont pas spontanément réceptifs à cette action en faveur des droits humains ou appeler les Églises elles-mêmes à « balayer devant leur porte » et même à l’intérieur, dès lors qu’il est question de défense des droits de l’homme et de la femme ! De manière générale, la commission théologique témoigne par son existence même du fondement spécifiquement chrétien de l’ACAT qui se traduit aussi dans les célébrations, la vie de prière, l’écoute de la Parole. Car le service du prochain est inséparable de la vie spirituelle et théologique qui le porte. Comme l’a écrit Emmanuel Levinas (1906-1995), « les besoins matériels de mon prochain sont des besoins spirituels pour moi ».
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