La mystique libérale

Paradoxalement, l’apparition en pleine crise moderniste d’un libéralisme théologique ultra-rationaliste et le succès œcuménique de Karl Barth ont achevé de réduire le protestantisme au simple rang de morale en acte. Désormais, il faudrait choisir son camp : soit considérer que la prédication et la pastorale se réduisent à une gentille leçon de choses, soit se secouer de délire, écumant des louanges et des exorcismes au son des guitares. Soit la morale proprette, soit la vaticination qui mène au décervelage.

Faut-il donc déplorer ou, pire, se réjouir de la disparition irrémédiable de la mystique au sein de la tradition luthéro-réformée ? Entendons-nous d’abord sur le sens du mot. Il ne s’agit pas, comme chez certains Herrnutes, de se mortifier en comptant les litres de sang qui coulent de la croix, le vendredi vers cinq heures moins le quart. Encore moins, hors de nos frontières, de procéder au compte-rendu des dards miséricordieux collectionnés par des saintes espagnoles. Pensons plutôt que cette mystique est davantage l’application la plus fidèle de certains principes de la Réforme. Car ce qui est en question, c’est le lien entre Dieu et l’homme. Nullement un lien de tutelle ou de soumission, mais une certitude à la fois individuelle et collective que l’Éternel aime chacun sans condition, que le réputé coupable ne l’est que par malheur et pas nécessairement par volonté. La fausse libération du born again christian croit émanciper en aliénant. La mystique libérale affranchit par la rencontre de Dieu. Elle n’est pas une voie facile : elle passe par la lutte de Jacob avec l’ange, par un doute nécessaire, incessant ; mais, à chaque fois, elle permet de retrouver la force qui anime la foi sans s’obliger à la prier sur tous les toits.

Contre la bêtise qui ne cesse d’attester, elle conduit à la discrétion celui qui compte bien, maladroitement mais sûrement, parcourir son chemin, dans l’intimité d’un dialogue sans paroles et ineffable, dans son Église intérieure.

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