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Il n’y a pas de morale chrétienne

 

Aussi surprenant que cela puisse paraître, pour le réformateur Martin Luther, il n’existe pas de morale chrétienne. Les œuvres accomplies en dehors de cette conviction qu’est la foi resteront toujours aussi vides, aux yeux de Dieu, aussi marquées du sceau du péché que les œuvres accomplies par un non chrétien. Le chrétien qui se demande « comment agir ? » ne peut se fonder sur aucune norme, aucune prescription, aucun code qui lui serait donné. Il doit simplement regarder la réalité telle qu’elle est, dans la foi, et prendre sa décision avec confiance, en situation.

Le point de départ de toute décision morale est donc celui d’une pleine et entière liberté, celle de l’être humain placé devant Dieu et devant son prochain. Naturellement, pareille affirmation peut sembler perturbante, mais elle permet d’éviter un écueil sur lequel se sont souvent heurtées plusieurs traditions chrétiennes, y compris protestantes : celui du moralisme, de la pratique d’une morale développée à partir d’une Bible devenue code de la route ou manuel de bonne conduite. On peut en effet proposer une lecture luthérienne de ces dérives et identifier cette approche, que Luther qualifierait sans hésiter de « pécheresse », derrière les discours moralisateurs à propos de l’éthique sexuelle dont trop de chrétiens se font encore les champions. Certes, et c’est important, il existe bien pour Luther des normes morales, mais celles-ci ne sont pas propres aux chrétiens : elles sont accessibles à tous les hommes et résident au fond d’eux-mêmes. C’est là un élément déterminant pour le dialogue interreligieux, encore aujourd’hui. À cet égard, il vaut la peine de relire cet extrait des Propos de table de Luther :

« Dieu a ses règles et ses canons ; ce sont les dix commandements, que nous avons dans la peau et le sang. En voici le résumé : ce que tu veux qu’on te fasse, il faut le faire à ton prochain. Notre Seigneur y insiste, c’est d’après la mesure que tu auras appliquée à autrui que tu seras toi-même jugé. C’est avec cette règle et cette équerre que Dieu a dressé les plans du monde. Si des gens s’y conforment dans leur vie et dans leurs actions, tant mieux pour eux, car Dieu les récompensera richement en cette vie, et cette récompense peut échoir aussi bien à un Turc ou à un païen qu’à un chrétien. » Pierre-Olivier Léchot

 

Hus, Luther et les anatidés

Le légende rapporte qu’au moment d’être mené vers le bûcher pour y être brûlé en 1415 pour hérésie, on demanda à Hus de se rétracter et d’abjurer ses théories hérétiques. Il aurait répondu qu’on brûlait ce jour une oie (Hus, en tchèque) mais que dans peu de temps reviendrait un Cygne dont le chant sera entendu de toute la chrétienté. Hus avait été trahi par le pouvoir civil qui lui avait accordé un sauf-conduit pour se rendre au concile de Constance afin d’y défendre ses thèses. Il a été immédiatement appréhendé par les autorités religieuses.

Un siècle et deux ans plus tard, à la veille du 31 octobre 1517, l’Électeur Frédéric de Saxe eut un songe, que rapporta son frère le duc Jean. Il voyait dans ce songe un moine qui écrivait sur la porte de l’église de Wittenberg avec une plume si longue qu’elle rejoignait Rome. Plus les autorités s’attelaient à briser la plume, plus celle-ci se fortifiait. Le moine affirmait : « Cette plume appartient à une Oie de Bohême qui a cent ans. » Le lendemain, Martin Luther affichait ses 95 thèses sur la porte de l’église vue en songe par l’Électeur.

Cette assimilation de Luther au Cygne de la prophétie de Hus a donné naissance à toute une iconographie du Réformateur. Elle fut même rappelée dans la prédication lors du service funèbre de Luther en 1546.

À lire l’article de Marc Lienard  » Les chrétiens, l’Église et l’État selon Luther « 

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À propos Pierre-Olivier Léchot

est docteur en théologie et professeur d’histoire moderne à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris). Il est également membre associé du Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (CNRS EPHE) et du comité de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (SHPF).

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