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La Dame en noir de Giotto

Giotto, La Porte dorée. 1303-1305. Fresque. Padoue, Chapelle des Scrovegni. Photo ©C.C. Wikimedia.

Fresques de la capella Scrovegni (1303-1395), Padoue

Le conférencier était Victor Stoichita, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Fribourg ; le sujet traité, l’importance de l’œil et du regard dans les fresques peintes par Giotto à la Chapelle Scrovegni.
De ce brillant professeur, j’avais déjà apprécié sa participation en 2014 à une chaire du Louvre consacrée par lui à l’évocation de l’Autre en peinture, l’Autre étant l’étranger, le différent, à savoir le juif, le Turc, le noir, le tzigane, l’Amérindien… dans des compositions de Rembrandt, Dürer, ou encore Vélasquez. Une approche extrêmement intéressante.

Les fresques des Scrovegni abordent un double thème : la vie du Christ et celle de Marie, sa mère, selon l’évangile apocryphe du pseudo Matthieu qui évoque ainsi sa conception extraordinaire. Il est vrai qu’à cette époque-là les textes apocryphes inspiraient abondamment les artistes, tendance qui s’estompera vers 1500.

 

La conférence se centra sur les quelques scènes évoquant cette singulière conception : du rejet par les prêtres du sacrifice de Joachim à cause du défaut de  descendance, à celle où, après avoir été avertis tous les deux par un ange, Anne sort accueillir à la Porte Dorée son époux, de retour à la ville. La lecture du récit et l’examen simultané des images qui les figurent mettaient bien en relief le talent et l’originalité de Giotto tout comme la maîtrise de ses moyens : clarté et qualité des compositions, richesse des couleurs, efficacité des expressions. Il est vrai que, dans ce domaine, le concours des yeux s’avérait décisif.

Dans la scène de la Porte Dorée, Stoichita pointa la présence d’un personnage que le récit ignore totalement, une figure entièrement issue de l’imaginaire du peintre : une dame en noir qui considère attentivement la joie des serviteurs qui assistent à des retrouvailles au cours desquelles, par le regard même des époux, s’opère la conception virginale de Marie. Mais qui est cette dame ? Cette grande absente du récit ? Et quel rôle y joue-t-elle ? Stoichita parla d’une possible figuration de l’état mental d’Anne avant ces faits, ou encore, peut-être, d’une manifestation du mauvais œil – le gauche, en l’occurrence. La question restait ouverte et  quelqu’un proposa d’y voir une préfiguration de Marie à l’heure de la Passion… Puis, une idée me vint : ne s’agirait-il pas, en fait, de la mort elle-même regardant d’un très mauvais œil un événement qui allait conduire, in fine, à la Résurrection ? Mais, le temps manquant, ma proposition demeura en suspens…

Il y a dans cette scène, en tout cas, deux lignes sous-jacentes qui la déterminent intimement. La première court horizontalement le long du milieu de l’image unissant ainsi plus subtilement encore les regards de Joachim et d’Anne. La seconde constitue, en fait, l’axe vertical de la composition, axe que le coin gauche de la « loggia » du fond aide à repérer. Juste à gauche de cette ligne invisible se tient la mort. À sa droite, la joie de ceux qui espèrent qu’elle n’aura pas le dernier mot… un retournement axial, un basculement décisif qui peut passer, bien sûr, parfaitement inaperçu à ce moment mais dont Giotto a voulu signifier néanmoins l’importance en le plaçant subtilement au centre même de la composition.

 

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À propos Luc Dorian

est docteur de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) en Art et Histoire, formateur en langue espagnole dans divers organismes spécialisés, critique d’art, membre de la section française de l’Association Internationale des Critiques d’Art (AICA). Il porte un regard attentif aux dimensions anthropologiques et spirituelles de l’art.

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