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Pour l’Europe des fraternités

Soixante-deux ans après la signature du Traité de Rome, le projet européen a perdu de sa vitalité et ses adversaires n’ont jamais été aussi nombreux et puissants. À travers tout le continent, les mouvements europhobes prospèrent sur les insécurités de peuples qui rechignent toujours plus à se doter d’un destin commun à mesure que se renforce la communauté des peurs. Et certains d’entre eux exercent déjà le pouvoir, de l’Italie de Salvini à la Pologne de Kaczyński en passant par la Hongrie d’Orbán. Du rêve, le continent a glissé dans la désespérance. En France, si un sondage Ipsos pour Le Monde – en février 2019 – affirmait le statut minoritaire du sentiment antieuropéen dans le pays, il démontrait aussi combien les Français étaient critiques de l’état actuel de l’Union et que seulement un Français sur deux éprouverait des regrets si la construction européenne devait être abandonnée.

Cette désespérance face à l’Europe, nous sommes nombreux à la ressentir. Nous l’éprouvons face aux lenteurs institutionnelles de cette immensité technocratique qui ne parvient que si rarement à donner au monde une voix forte, digne des valeurs européennes. Ces valeurs – forgées dans les déchirures de notre Histoire et la générosité de nos pensées – sont le premier héritage de tous ces peuples à la fois si différents et si proches se retrouvant si nombreux à habiter ce coin de terre si étroit. Lors de la récente crise migratoire, l’Europe a-t-elle été à la hauteur de la mission que non seulement son passé mais aussi sa richesse lui imposent ? Devant ces vies déjà brisées fuyant la mort, l’Europe a répondu à la détresse des Hommes par la rigueur des barbelés. De toutes les peurs enserrant cette crise, elle n’a voulu comprendre que les siennes et nos portes sont devenues un cimetière. La désespérance vient aussi de la distance de plus en plus dramatique établie entre les peuples d’Europe et ce qu’on appelle communément Bruxelles. Une distance nourrie d’incompréhension qui se traduit autant par une franche indifférence que par une virulente hostilité. Quel plus grand péril pour un peuple que de se sentir dépossédé et abandonné ? Des traités rejetés mais finalement appliqués aux violentes thérapies économiques imposées par la crise, les étapes de ce divorce ont été multiples.

L’incapacité de l’Europe à répondre avec conviction à tous les défis auxquels elle est confrontée a mené à l’essor des dérives nationalistes. Partout, les Nations se replient sur elles-mêmes, sur des identités fantasmées et le recours infantile à une autorité verticale qui ne cesse d’écorner les valeurs démocratiques. Face au retour des nationalismes, l’Europe apparaît plus nécessaire que jamais : pour garantir une unité pacifique à ce continent qui ne s’est jamais économisé en conflits meurtriers, l’Europe doit assumer l’unité par la démocratie. Comme le disait Victor Hugo dans son discours prophétique du 21 août 1849 : « Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples […] ! Un jour viendra où l’on montrera un canon dans les musées comme on y montre aujourd’hui un instrument de torture, en s’étonnant que cela ait pu être ! »

Mais plus encore, face aux volontés impérialistes de tant de pays – de l’Amérique de Trump à la Russie de Poutine, de la Chine de Xi au Brésil de Bolsonaro – l’Europe ne saurait s’offrir le luxe de la division au risque de devenir dans quelques décennies une note de bas de page de l’Histoire. Sans unité, l’Europe est une puissance inutile, une juxtaposition de Nations grandes de par leur passé et leur culture mais minuscules de par leur population et leur territoire. Face à la Chine et à l’Inde, premières puissances de demain, et même face à l’Afrique, qui s’éveillera à son tour et dominera  d’autres lendemains, quel serait le poids d’un continent divisé en tant de pays incapables de s’entendre ? Quelle en serait la puissance économique ? Quel en serait le poids diplomatique ? Sans l’Europe, nos souverainetés seront mortes du moment où elles seront impuissantes. Voulons-nous que notre avenir soit celui de Nations souveraines en tout mais libres en rien, ne pouvant peser sur la scène internationale que dans l’affiliation à une autre puissance ?

Pour extirper l’Europe des dysfonctionnements et de la désespérance dans laquelle elle se trouve enfermée, il faut oser la réforme des institutions européennes. L’unanimité des chefs d’États et de gouvernements semble un frein à toute audace et le Parlement européen demeure limité dans ses attributions. Seules des institutions consolidées permettront de se doter de politiques fortes dans les domaines stratégiques où son investissement est indispensable : l’immigration, les politiques énergétiques, la lutte contre le réchauffement climatique, l’équilibre international. Mais l’Europe doit avant tout retrouver la confiance des peuples. Il est aujourd’hui admis que l’élargissement a sans doute été trop rapide. L’Union européenne s’est élargie sans s’être approfondie, elle s’est étendue sans avoir solidifié ses structures. Redonner la parole aux peuples en prenant le risque de les interroger sur leur rapport à la construction européenne serait un geste fort et une audace porteuse de renouveau.

Plus encore, il faut refonder le socle européen tant sur le plan démocratique que sur le plan affectif, symbolique et culturel. Nous devons replacer, au cœur de notre volonté d’un destin commun, le souci de vivre en frères et sœurs. L’Europe doit s’affirmer comme la terre de la Fraternité. Notre horizon ne doit pas tant être les États-Unis d’Europe que les États Fraternels d’Europe. Pour réussir ce projet aussi généreux qu’immense, que nous faut-il ? Comme le demandait Victor Hugo dans ce discours déjà cité : « (…) qu’avons-nous à faire pour arriver le plus tôt possible à ce grand jour ? » Sa réponse : « Nous aimer. »

Et pour que les peuples puissent s’aimer, ils doivent se connaître. Solides dans notre propre identité, nous ne devons pas craindre celles de nos voisins. L’Europe n’est pas une menace pour ces mille identités qui font la richesse de notre continent, au contraire : l’identité européenne n’est pas une identité monolithique et jalouse, elle est une identité plurielle, ouverte et fraternelle. Être européen, c’est se connaître à la fois comme membre de sa propre Nation mais aussi reconnaître les autres peuples comme nos semblables. La citoyenneté européenne doit être tout autant un ensemble de droits politiques et sociaux qu’une attitude vers l’altérité. L’Europe doit être à la fois une construction politique et une construction affective. C’est là que réside toute la grandeur de ce rêve européen. C’est un rêve résolument optimiste ; c’est un engagement pour l’épanouissement des citoyens, le progrès des sociétés et la paix entre les Nations. C’est le rêve de cultiver le dialogue et l’entente, de refuser les identités exclusives et adversaires. Rêve de progrès et d’audace, attaché à toutes les formes de souveraineté : de la souveraineté de l’individu libre et responsable à la souveraineté des Nations indépendantes jusqu’à la souveraineté librement partagée des peuples européens, déterminés à vivre dans l’unité et la diversité pour assurer leur puissance au service de leurs idées. L’Europe n’est pas une simple réponse à la peur : elle est l’antinomie de la peur. Libérée de ses pesanteurs et de ses pudeurs, affranchie de ses dogmes et de ses erreurs, l’Europe peut, demain, être le continent de toutes les fraternités.

La rédaction d’Évangile et liberté

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2 commentaires

  1. feriaud.pierre@gmail.com'

    L’Europe a été crée par des Hommes, qui au sortir de la Guerre au cours de laquelle et pour la plupart étaient engagés dans la résistance, Ils y ont connu la souffrance, ils y ont connu les hommes et les réalités du terrain. Ils avaient une vision du monde et de l’Homme.
    Aujourd’hui que voyons nous dans les « élites » européennes: des hommes sans visions , à la limite de la corruption, engagés dans une carrière personnelle!
    Alors vous ne voulez pas que les populistes triomphent?
    Oui à cette Europe idéale que vous décrivez. Mais comment faire pour y parvenir?

  2. jmsauret@yahoo.fr'

    Oui, bien sûr, ce changement là devrait être posé… Mais comment ? L’Europe est verrouillée, cadenassée pour n’être qu’un marché pour les plus riches. Ici, on ne chasse pas les marchands du temple. C’est « leur temple ». Quel est le chemin vers cette état de salut ? On ne refait pas l’Europe car pour le moindre changement il faut l’unanimité des pays… Autant dire que c’est impossible, comme si volontairement les derniers réformateurs l’ont voulu ainsi. Même s’il n’y a que la foi qui sauve, j’ai bien peur de la perdre sur ce champ là…

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