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Prêcher à Pâques : l’importance

 

Chaque année à Pâques, l’Église raconte l’histoire glorieuse et stupéfiante de la résurrection d’entre les morts de Jésus. Puis, immédiatement après la proclamation de Pâques, alors que le son des trompettes flotte encore dans l’air, l’Église est confrontée à ses doutes et à ses peurs : cette histoire insensée et merveilleuse peut-elle réellement être vraie ? Ou était-ce seulement un conte sans intérêt ?

 De la permission de douter à la permission de croire

Que ce soient les disciples rejetés et marchant péniblement vers Emmaüs, des amis effrayés se blottissant dans le noir, la porte verrouillée pour se prémunir de ce qui pourrait arriver, la suite de la bonne nouvelle de Pâques est l’histoire d’une réponse silencieuse, hésitante, et humaine à ce que Dieu vient d’accomplir. La suite typique de Pâques est le récit de Thomas l’incrédule, celui qui n’était pas présent à la première apparition de Jésus devant les disciples effrayés en Jean 20. Quand Thomas arrive plus tard, il n’accepte pas les témoignages des disciples de la résurrection de Jésus : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n’y mets pas mon doigt et si je ne mets pas ma main dans son côté, je ne croirai pas ». Malgré ce qui semble être une demande de preuve excessive, Jésus revient une semaine plus tard pour accéder à la demande de Thomas. Il est tout de suite converti, et de sceptique, il devient un croyant qui proclame que Jésus est « mon Seigneur et mon Dieu ! » L’histoire se conclut avec Jésus qui parle à Thomas, et à travers Thomas à l’Église à travers les siècles : « Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! » Nous racontons ces histoires dans l’Église de manière à lier nos propres doutes et nos incrédulités à l’expérience similaire des premiers disciples de Jésus. Si même les témoins oculaires et ceux qui écoutèrent les prédictions répétées de Jésus, à propos de sa mort et de sa résurrection, pouvaient se dire que ce n’était qu’un rêve ou un conte, ce n’est pas étonnant que nous, aujourd’hui, avec beaucoup moins de preuves, nous ayons aussi le droit de douter, et de demander des preuves à notre tour.

Dans la tradition protestante libérale dans laquelle j’ai servi, il est habituel de prêcher les histoires d’après-Pâques précisément de cette manière : ces histoires sont comprises comme une permission scripturaire du doute. Année après année, j’entendais puis j’ai prêché des sermons sur Thomas qui normalisaient notre propre doute et notre incrédulité. Chaque année le prédicateur s’exclamait au sujet de l’incroyable bonne nouvelle de l’histoire de l’après-Pâques : « Il est permis de douter ! Le doute n’est pas le contraire de la foi ! »

J’ai entendu cette prédication de la part de nombreux prédicateurs – moi y compris – tellement de fois que je ne les compte plus. Jusqu’à l’année où il m’est venu à l’esprit qu’il y avait peut-être un autre message dans cette histoire, un message que nous avions besoin d’entendre, mais que nous n’entendions pas dans ces prédications qui confirmaient notre permission de douter. Après tout, l’histoire ne se termine-t-elle pas sur un Thomas professant sa foi en Jésus comme Seigneur et Dieu ? Et Jésus n’a-t-il pas rendu hommage à ceux « qui n’ont pas vu et qui ont cru » ? Cette année-là, j’ai donné une prédication dans laquelle j’ai rappelé à l’assemblée que la permission de douter n’était pas vraiment en question dans notre Église : notre tradition donne aux gens la permission de douter depuis des décennies – au moins depuis l’apparition des théologies séculières au début des années 60. Dans notre tradition, c’était plutôt la permission de croire – la permission de professer Jésus comme Seigneur et Dieu. Nous nous étions tellement attachés à accepter le doute que nous avions presque exclu la possibilité de croire.

 Pour une libre expression de l’Évangile

Quand je repense à cette expérience, je me souviens de l’importance du contexte, ou pour le dire autrement, de l’importance de répondre à la question, « Quel problème essayez-vous de résoudre ? » Cette année-là, à Pâques, j’ai pris conscience du fait que nous étions en train de répondre à la mauvaise question, de résoudre le mauvais problème. Nous avions l’habitude de prêcher la permission de douter à des personnes qui étaient plutôt à l’aise avec le doute. Un tel prêche confortait simplement les gens dans leurs convictions ; il échouait à leur faire entendre l’Évangile. Dans un autre contexte, par exemple celui du fondamentalisme ou du littéralisme biblique, un prêche qui donne la permission de douter est très libérateur. C’est une expression de l’Évangile adéquate qui aide les personnes à se séparer d’un enseignement trop strict, et leur donne la liberté de connaître une rencontre avec Dieu qui soit source de vie. La tradition de la théologie libérale a contribué de manière importante à la vie de l’Église en important les bienfaits de la recherche intellectuelle dans la discussion avec les autres traditions. La théologie libérale conteste le littéralisme biblique et les fondamentalismes depuis deux siècles, et elle aide l’Église à se confronter à un contexte social qui évolue rapidement. Mais le libéralisme théologique n’est pas la réponse à toutes les questions ; il a ses limites et ses angles morts. Tout comme le fondamentalisme subvertit l’Évangile au profit d’une idéologie conservatrice, de même, une idéologie libérale peut asservir l’Évangile en vue de ses propres fins. Le défi auquel font face à la fois les libéraux et les conservateurs est d’autoriser l’Évangile à parler librement, avec une voix ayant plus d’autorité que l’idéologie.

Parfois le message que les libéraux doivent entendre est une parole qui leur rappelle des aspects de la tradition chrétienne qu’ils ont un peu délaissés : des concepts comme la croyance, l’obéissance, le sacrifice, le péché et la rédemption. Nous ne voulons pas que ces termes et ces idées soient employés comme ils le sont dans des formes plus conservatrices du christianisme, et nous ne voulons pas non plus les abandonner car ils portent des vérités importantes concernant notre vie avec Dieu. Dans la bataille contre le fondamentalisme et le littéralisme biblique, il peut être trop facile chez les libéraux de dévaloriser l’Écriture, les traditions de l’Église, et d’adopter le langage du libéralisme séculier. Une des conséquences de l’adhésion à cette théologie séculière dans les courants libéraux depuis les années 1960 est l’éloignement du langage de la tradition chrétienne au profit du langage plus général de la spiritualité. Mais quelque chose se perd lorsque nous faisons cela. Si nous pouvons éventuellement nous rendre culturellement plus pertinents en faisant usage du langage de la spiritualité, nous perdons le témoignage spécifiquement chrétien de Dieu, de la manière dont il veut être en relation avec nous.

Une question que j’aime poser est : « quel est le cœur de l’Évangile ? » Est-ce une version de la Règle d’or, une croyance partagée parmi de nombreuses traditions religieuses ? Est-ce une simple réaffirmation de l’enseignement de Jésus au sujet des commandements les plus importants – aimer Dieu, et aimer son prochain ? Ou est-ce cela : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. » Les deux premières réponses sont acceptables pour la plupart des libéraux séculiers. La troisième réponse soulèverait probablement beaucoup de problèmes pour eux. Mais pour l’Église, c’est la réponse la plus juste, parce qu’elle nous rappelle combien Dieu nous aime et jusqu’où il est capable d’aller pour sauver le monde et réconcilier toute chose à lui.

Quand vous regardez votre propre contexte, quel est le problème que vous essayez de résoudre ? Est-ce une forme trop conservatrice et restrictive de croyance ? Ou est-ce une forme de croyance si ouverte et inclusive qu’il n’est plus possible de reconnaître qu’elle est chrétienne ? Ou est-ce autre chose encore ? Dans tous les cas, j’ai foi que l’Évangile a une réponse adéquate, si vous l’autorisez à parler.

 

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À propos Jeff Seaton

est ministre de l’Église unie du Canada. Il est diplômé de la faculté de théologie de Vancouver (master) et de l’Université de Duke en Caroline du Nord aux États-Unis (doctorat en théologie pratique). Il est l’auteur de Who’s Minding the Story? The United Church of Canada Meets « A Secular Age » (Wipf & Stock, 2018). Il exerce diverses responsabilités au sein de l’Église unie du Canada (Président du Comité des relations pastorales du Synode de Colombie britannique, membre de l’exécutif de ce même synode).

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