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Dieu aime chacun tel qu’il est

 

Martin Luther écrit, dans la préface à la deuxième édition de son commentaire sur l’épître aux Galates (1538) : « Voilà déjà vingt ans que je suis dans le service du Christ, bien que je ne sois rien : or, je puis attester, en vérité, que plus de vingt sectes m’ont sollicité. Les unes se sont entièrement effondrées, les autres palpitent encore comme des membres d’insectes. (…) Tout récemment encore, (celle) de toutes que je prévoyais le moins ou que je redoutais le plus : les hommes qui enseignent que le décalogue doit être ôté de l’Église et que les hommes ne doivent pas être plongés dans la terreur par la loi… » Cinq siècles après Luther, et depuis quelque temps, la loi, qui déjà ne terrorisait plus grand monde, mais demeurait présente comme une interpellation pour les consciences des fidèles, tend à disparaître du cours de certains cultes, ainsi que toute confession des péchés, du péché, ou prière d’humilité… Dieu aime chacun tel qu’il est, c’est alors ce qu’on entend et parfois c’est même tout ce qui reste. C’est aussi en train de devenir le leitmotiv d’une nouvelle hymnologie, presque exclusivement écrite à la première personne du singulier : tel que je suis Dieu m’aime !

 Dieu ne laisse personne en l’état

Vraiment, Dieu aime chacun, tel qu’il est ? Sans parler de faits graves et que la justice des humains poursuit, Dieu n’a-t-il rien d’autre à dire, que « Je t’aime ! » assorti explicitement d’un « Surtout ne change rien » ? Au dire de certains aumôniers opérant en milieu péniparole tentiaire, il semble bien que, pour certains des détenus qu’ils visitent, le fait que Dieu les aime tels qu’ils sont puisse avoir un sens réconfortant et bien concret : au ciel au moins, quelqu’un vous regarde autrement que comme un délinquant définitif, toujours condamné. On comprend alors que, peut-être, parfois, la foi en cet amour peut constituer le socle d’un commencement d’une réappropriation de son propre destin. Mais pour qui va et vient librement, pour les pas-vu-pas-pris ordinaires qui fréquentent de joyeuses et ouvertes assemblées, qu’en sera-t-il ?

Soit : Dieu aime donc chacun tel qu’il est. On justifie le plus naturellement du monde cette proclamation en invoquant la première épître de Jean : « Dieu est amour ». (1 Jn 4,8) Qu’un verset de cette épître affirme que Dieu est amour est incontestable, mais cette même épître affirme aussi que celui qui dit qu’il aime Dieu qu’il ne voit pas et qui n’aime pas son frère qu’il voit est un menteur (1 Jn 4,20). L’ambiance générale de l’épître n’est pas à l’amour entre frères chrétiens, c’est même tout le contraire. Aussi l’affirmation que Dieu est amour ne peut pas être comprise de manière univoque comme un énoncé positif portant sur Dieu, mais doit plutôt être regardée comme un énoncé critique portant sur les manières d’être de ceux qui se réclament de Lui. Dieu, Lui, est amour… et vous, vous réclamant de Dieu, comment vous comportez-vous ?

Chacun tel qu’il est ? Ce n’est certainement pas parce que Dieu aimait son peuple tel qu’il était qu’il ordonna au prophète Osée de prendre pour femme la prostituée Gomer et de nommer un de leurs enfants Lo-Rouhamma (Je ne t’aime pas !) et un autre Lo-Ammi (Tu n’es pas mon peuple). Ce n’est certainement pas parce que Dieu aimait son peuple tel qu’il était qu’il le fit sortir d’Égypte ; si Dieu aimait son peuple tel qu’il était, esclave en Égypte, il l’y aurait laissé. Ni parce qu’il l’aimait incapable de discerner sa droite de sa gauche qu’il lui a proposé quelques repères essentiels, avec Moïse, et quelques rappels non moins essentiels, avec les prophètes. Ni parce qu’il l’aimait tel qu’il était, asservi à toutes sortes de conventions et usages et dominé par des princes de la religion qu’il lui a envoyé le Christ Jésus. Ce n’est certes pas parce que Dieu aimait Saul tel qu’il était qu’il l’a ravi au troisième ciel et fait de lui Paul, l’apôtre des Gentils. Etc. Objectons qu’il fallait bien que Dieu aimât son peuple tel qu’il était pour ne pas l’avoir exterminé après l’épisode du veau d’or ; l’intercession de Moïse fut cependant décisive. Et pour avoir été rechercher Juda en exil à Babylone, mais pas Israël – dix tribus sur douze perdues, tout de même – fallait-il qu’il aimât son peuple, de quel amour, et quel peuple, au fond ?

 Changer pour goûter au règne des cieux

Tout semble bien se passer chez certains qui font comme si l’on n’avait conservé de la Réforme qu’une pâle et finalement très méritée justification par grâce seule, et oublié tout le reste, à commencer par le commencement, c’est-à-dire la première des 95 thèses du 31 octobre 1517. « En disant : “Faites pénitence”, notre Maître et Seigneur Jésus-Christ a voulu que la vie entière des fidèles fût une pénitence. » La référence à Matthieu 4.17, saute aux yeux de ceux qui lisent ici Luther et l’évangile en latin. Faites pénitence, donc. Penitentiam agite ! Mais faire pénitence est une expression que certains n’aiment guère, elle sent le mérite. Mais c’est pourtant celle que la Vulgate a retenue pour traduire le metanoeite grec, convertissez-vous. Ce n’est pas que, par quelque pénitence ou conversion, l’on puisse finalement mériter le salut, on ne le peut pas, ce que catholiques et luthériens professent ensemble depuis 1999. C’est affirmer qu’il y a bien quelque chose à changer en soi pour goûter au règne des cieux. Si l’on comprend bien ici Matthieu, le Royaume s’est si parfaitement approché (le verbe grec est au parfait) qu’il ne sera jamais aussi proche qu’il n’est proche en Jésus. Et donc le reste du parcours à faire appartient au fidèle, si l’on en reste à Luther, ou appartient à l’auditeur de la prédication de Jésus, pour en rester à Matthieu. Alors, oui, Luther signale bien que ce petit reste de parcours embrasse toute la vie des fidèles, et toute la vie, cela signifie à la fois toute la durée de la vie, et aussi la vie dans toutes ses dimensions. Mais cette conviction ne conduit pas forcément au désespoir. Un jour, dans la préface à l’édition complète de ses oeuvres latines (1545), Martin confessera lui-même être entré « dans le paradis portes grandes ouvertes » après un long parcours, une longue pénitence, et de son vivant ; c’était après qu’il eût compris, raconte-t-il, avec Paul et l’épître aux Romains, que le juste vivra par la foi (Rm 1,17).

Dieu aime donc chacun tel qu’il est, mais on ne peut pas considérer isolément que Dieu est amour, s’en satisfaire, et faire fi de tout le reste. Avec le même sérieux, dans la même foi, on doit aussi accepter simultanément toutes les vigoureuses, et rarement efficaces, interpellations bibliques que Dieu adresse à son peuple, ou à tel ou tel membre de son peuple. Et aussi ces fragments qui font de l’être humain le responsable d’un malheur que Dieu lui envoie en raison de sa désobéissance réelle, ou imaginaire ; on réserve donc bon accueil aux pauvres chers amis de Job. Et aussi les justifications stupéfiantes données à la mort tragique du roi Josias qui fut pourtant le meilleur des rois : les démérites de ses prédécesseurs étaient d’une telle ampleur que Dieu, même Dieu, ne pouvait pas rééquilibrer sa sainte balance et lui donner longue vie. Et aussi comme parlant adéquatement de Dieu les pages les plus effrayantes du Lévitique, son vingtième chapitre, sans perdre de vue que même s’il est commandé que l’on se sanctifie en mettant à mort toutes sortes de gens aux pratiques abominables, il y a un écart entre garder le commandement et le mettre en œuvre et que c’est toujours finalement Dieu qui sanctifie.

Ah, qu’il est doux de se savoir aimé et d’ignorer tout le reste ! Faire autrement que tout accueillir dans la même foi, et surtout ne prendre que ce qui contente, c’est se prendre pour le seul juste de Sodome. C’est se figurer que Dieu ne sonde pas les reins et les cœurs, c’est prendre le risque de se justifier soi-même au lieu de prendre le risque de la foi, le risque de laisser Dieu justifier qui il veut et de laisser aussi à Dieu seul la connaissance de qui il justifie.

 

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À propos Jean Dietz

est pasteur de l’Église protestante unie de France au Creusot et disséminés.

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