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Du chaos à l’harmonie

 

Genèse 1, la création en six jours ; un monde qui naît d’un chaos, d’un « tohu-bohu ». Et si ce texte mythologique nous parlait d’autre chose que des origines du monde… Les auteurs de ce texte poétique, plus tardifs que ceux du second récit de création avec l’Éden perdu, nous parlent sans doute moins des origines du monde que de la condition présente du monde, et notamment de la condition humaine. Nos existences, et même celles qui sont indépendantes de l’être humain (celles des planètes, des cailloux, des plaques tectoniques, des animaux des grands fonds marins, etc…), ne sont-elles pas marquées par des chaos qui ne cessent de revenir et de produire de nouvelles situations ? Cet « inédit » permanent est le mode de devenir du monde, de la roche à l’être humain. C’est sans doute à cette lecture de Genèse 1 que la théologie du process nous invite. Ce premier chapitre de la Genèse nous parle de chaque instant de notre vie, de chaque événement qui nous advient et ne cesse de nous construire.

Tout commence par un chaos primordial, par un magma sans intention, sans passé et sans avenir, une sorte d’éternel présent ; mais un présent mort, inerte. Et voilà que, symboliquement, jour par jour, une intentionnalité, une Parole, vient créer en organisant les éléments, en leur donnant un sens, une orientation, un projet. Ces éléments vont composer une harmonie globale qui passe d’abord par la distinction (Dieu « sépare »), puis par la relation des événements entre eux (les créatures doivent « produire »). De plus, chaque jour comporte un « et Dieu vit que cela était bon ». L’intention impulsée au temps et au réel vise donc un bien (tov en hébreu). Le premier philosophe du process, Alfred Whitehead (1861-1947), parle d’un objectif qui vise un mieux, qu’il nomme enjoyment, que j’aime à traduire par le néologisme « jubilescence », c’est-à-dire un processus qui nous mène à chaque instant du chaos vers un dépassement. Le pari de la philosophie et de la théologie du process est de considérer que toute existence, du minéral à l’humain, est constituée d’un flux d’événements. La différence se fait dans la complexité, évidemment plus grande, à un instant donné, entre une existence humaine et celle d’un caillou, même si celle-ci peut être riche dans la durée… Mais toute existence vise un « bien », même si la définition de celui-ci ne peut rester que subjective, et donc singulière.

Si l’on relit alors ce texte comme évoquant notre condition humaine, nous pouvons y comprendre une tension dynamique permanente entre le chaos et la « recréation ». Ce dynamisme créateur nous fait passer sans cesse du chaos à l’harmonie, de la ténèbre inerte à la lumière vivante. Mais le chaos n’est pas définitivement vaincu ; il peut revenir. On pourra aussi remarquer que, dans cette narration, il y a un certain temps entre le chaos et la création. Tout ne se règle pas automatiquement, instantanément, d’un coup de baguette magique. Comme dans nos vies, il est des moments de souffrances qui prennent du temps avant de devenir des recréations, même si hélas ce n’est pas toujours le cas. Ce temps de latence, ces six jours du récit, nous invite à regarder nos existences avec moins de naïveté. Ce que propose la théologie du process n’est pas un positivisme béat, une forme d’optimisme aveugle qui ne prendrait pas en compte le tragique. Au contraire, il s’agit de partir de ce constat de l’existence même du tragique pour le dépasser dans un devenir. Nous sommes loin aussi de la tentation d’expliquer le mal, encore moins de justifier les souffrances humaines. Nous ne parlons pas ici d’un Dieu qui nous « enverrait des épreuves » en faisant revenir ce chaos. Le Dieu du process n’est pas le grand marionnettiste un peu sadique que l’on voit parfois dans certaines théologies classiques. Le réel n’est pas monocolore.

La vertu de l’espérance possible est aussi la vertu de la patience. L’intentionnalité divine est présentée comme un projet de résurrection, de recréation permanente qui nécessite du temps. Et sans doute un peu de ce « courage d’être » qu’évoquait le théologien Paul Tillich (1886-1965) …

 

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À propos Jean-Marie de Bourqueney

est pasteur de l’Église protestante unie. Il est actuellement à Paris-Batignolles. Il est notamment intéressé par le dialogue interreligieux et par la théologie du Process.

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