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Églises et extrémismes politiques

 

Les démocraties traversent actuellement des turbulences marquées par la montée de mouvements populistes ou extrémistes qui pratiquent une démagogie débridée. L’usage de faits imaginaires et d’insultes rageuses est en recrudescence. Certains politiciens remettent ouvertement en cause la démocratie libérale, ou la « société ouverte » dans l’expression d’Henri Bergson reprise par Karl Popper pour désigner une société dans laquelle les gens sont appelés à penser par eux-mêmes et sont laissés libres d’agir dans les contraintes juridiques d’un État de droit. Dans plusieurs pays sont arrivés au pouvoir des politiciens qui sapent l’indépendance du législatif, de la justice et des médias, poussant ainsi leur pays vers la « société fermée », c’est-à-dire une société dans laquelle les dirigeants politiques rejettent la démocratie, contrôlent les idées et soumettent les individus à leur volonté plutôt qu’aux règles de droit.

L’affinité entre nos Églises et la démocratie libérale est forte. De nombreux textes bibliques nous encouragent à mettre le pouvoir au service des individus plutôt que l’inverse et nous appellent à traiter autrui comme nous aimerions être traités, à rechercher de solutions bénéfiques pour tous, à nous méfier des belles promesses politiques, à limiter l’autorité des dirigeants quels qu’ils soient, à aider ceux qui sont en difficulté à se relever et à se remettre en route.

Que peuvent faire nos Églises ? Elles se dévoieraient en adoptant un programme politique ou en désignant un parti spécifique « meilleur choix pour les chrétiens ». Elles peuvent néanmoins apporter deux types de contributions :

• valoriser une certaine manière d’aborder la politique, indépendamment des idées spécifiques ;

• attirer l’attention sur des risques majeurs et des réalités inacceptables, mais sans proposer une solution donnée (à moins que le choix soit binaire, évidemment).

Quelques principes

Je mentionne ici quelques principes qui me paraissent pertinents dans la situation actuelle.

Favoriser le débat raisonné

Les réactions émotionnelles sont au populisme ce que l’oxygène est au feu. Insister sur la réflexion mûrie est le meilleur moyen de favoriser un débat politique fructueux. André Gounelle parle ainsi de « favoriser la pensée ». Max Weber, lui, nous appelle à compléter l’éthique de conviction, la « flamme de la pure doctrine », par l’éthique de responsabilité, le souci des « conséquences prévisibles de nos actes ». Cela implique de garder une distance critique même par rapport à nos convictions les plus chères. « Il existe des faits extrêmement désagréables pour chaque opinion, y compris la mienne », dit Weber. Il s’agit aussi de rappeler que voter ne consiste pas à choisir la meilleure liste de promesses. Le débat démocratique sert à examiner si les promesses peuvent être tenues et si les politiques bien intentionnées ont des effets bénéfiques ou contre-productifs.

Renforcer le pluralisme et les libertés fondamentales

Dans son essai sur la désobéissance civile, Pierre Bühler appelle chacun à « mesurer constamment si son action contribue à renforcer [la] société ouverte et non pas à la déstabiliser, à la précipiter dans des formes de société fermée. »

Chaque mouvement extrémiste se pose comme l’unique représentant possible de la partie de la population qu’il prétend défendre. Quand ils participent à des débats, les populistes ne dialoguent guère et préfèrent clamer que leurs contradicteurs ne font que défendre des intérêts illégitimes. Cette manière de mener campagne empêche le nécessaire débat politique et dégrade la société ouverte.

Notons que ceux qui participent au débat politique ont la responsabilité de restreindre leur argumentation à la « raison publique » (John Rawls) commune à tous les citoyens. C’est vrai aussi pour une Église. Ses interventions politiques peuvent être motivées par des croyances qui lui sont spécifiques mais elles ne doivent pas y faire référence. Par exemple, les chrétiens peuvent penser que les droits humains traduisent l’Évangile dans le droit. Cependant, une Église ne peut pas promouvoir les droits humains dans le débat politique par des citations bibliques. Elle devrait s’en tenir aux arguments de la « raison commune », comme l’empathie et le sentiment de justice implicites dans l’expérience de pensée du contrat social, ou comme le fait que la société ouverte fonctionne bien mieux que toutes les alternatives qui aient jamais vu le jour.

Cette retenue paradoxale est nécessaire, sinon le débat politique pourrait céder le pas à un affrontement entre divers systèmes de croyances incompatibles, théocratiques ou séculiers. Le « cadre vide » de la société ouverte risquerait alors d’être remplacé par des croyances spécifiques imposées par le pouvoir. C’est d’ailleurs ce que souhaitent ceux qui veulent ainsi « donner des repères » aux citoyens « déboussolés » par la diversité – ces expressions dénotent une conception infantilisante de l’être humain fréquente dans l’extrémisme politique.

Valoriser le changement graduel

Le chrétien se place « entre l’utopie et la résignation », comme dit Claude Vallotton et valorise donc le changement graduel.

Nos sociétés sont le résultat complexe d’une longue histoire de tâtonnements, de découvertes inattendues et d’erreurs corrigées. Les règles et pratiques de la société ouverte ont vu le jour en de multiples endroits à des époques diverses. Pour améliorer le monde, mieux vaut favoriser le changement graduel, adopter ce qui fonctionne le mieux à un moment donné et corriger « des injustices dans un système globalement juste », comme dit Pierre Bühler.

Valoriser le changement graduel, c’est aussi rappeler que l’État ne peut pas figer l’existant, mais qu’il peut aider les personnes à s’adapter au changement de multiples façons.

Promouvoir l’universalisme : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »

L’extrême-droite prétend que la civilisation et le christianisme sont menacés par l’islam et l’homosexualité. L’extrême-gauche, elle, avive l’idée d’une lutte entre « bons » et « méchants », parfois jusqu’à excuser la violence. L’universalisme chrétien ne va visiblement plus de soi.

L’exemple réussi compte plus que les bonnes paroles. Collaborer avec d’autres religions est un excellent moyen pour nos Églises d’apaiser les craintes véhiculées par les extrémistes et de renforcer la société libre. Quand pointe le risque d’une option politique inacceptable, prendre position de concert avec les représentants d’autres religions est ainsi une bonne manière d’allier la pratique aux mots.

Agir avec Optimisme

Se complaire dans l’optimisme de la pensée magique n’est pas une attitude responsable. Il s’agit plutôt d’agir dans une visée optimiste. Par exemple, les défis liés à la gestion de l’environnement et au développement durable ne doivent pas être ignorés sous prétexte que rien de bien grave ne peut se produire. Par contre, ils ne doivent pas non plus donner lieu à une action politique pessimiste qui poserait l’extrémisme comme seule alternative possible à la catastrophe.

La dégradation du débat politique rend plus pertinent le message politique de nos Églises et les appelle à l’action. Pour inquiétante qu’elle soit, la recrudescence du volontarisme autoritaire est aussi l’occasion de constater son échec dans la durée et son impopularité dans la population. Nos Églises peuvent contribuer utilement à promouvoir et rénover la société ouverte, qui a été et restera le meilleur moyen d’offrir à chacun les moyens de mener la vie qui lui convient.

 

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À propos Christophe Pella

a une licence en relations internationales (HEI) et un MBA en finance (Wharton). Il gère des fonds d’investissement à Londres.

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