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12. La prière d’intercession

 

Qui n’a jamais prié dans sa vie ? La prière semble universelle. Elle est une des activités principales de tous ceux qui croient quelles que soient les religions. Le langage courant atteste de cette universalité dans des expressions telles que : « Je t’en prie peux-tu faire ceci ou cela… ». Louange, confiance, détresse, demande, chantée, psalmodiée, intériorisée, communautaire ou individuelle, la prière prend des formes diverses. Prier c’est d’abord être en relation avec la divinité, c’est aussi tisser des liens avec le monde. L’orant, celui ou celle qui prie, devient le lieu de rencontre entre le monde et Dieu. Si certains se contentent de moulins à prière, de chapelets ou de répétitions incantatoires, d’autres vivent la prière comme un moment de spiritualité profonde, un moment d’éternité, un temps à part, qui engage tout l’être qui prie. La prière d’intercession lors du culte réformé (et de bien d’autres offices) est un de ces instants de plénitude qui mérite réflexion.

Si la liturgie appartient à la communauté, la prédication au prédicateur, la prière d’intercession est personnelle, individuelle. Située à la fin du culte, elle est alimentée par l’ensemble de l’office. Elle reste le signe de la Parole entendue et reçue. La Parole inspire la prière. Cette dernière est le signe de l’ouverture à Dieu. L’appel à la prière d’intercession devrait être suivi d’un silence. Ce silence est comblé par la réflexion sur la prédication, sur la présence de Dieu au cours de la vie des humains. Le silence est un vide rempli par la présence de Dieu. Cet instant de la prière exprime la transcendance, la présence de l’ineffable, le ciel qui touche la terre. Le silence est rencontre et écoute, et la prière s’inscrit dans la volonté de Dieu. La parole de Dieu est toujours première, la réponse est d’abord reconnaissance et remerciement. La prière d’intercession est signe de la grâce. S’adresser à Dieu dans une prière de demande implique la confiance en Dieu, le fait que la demande sera prise en compte et réalisée. L’intercession est un témoignage de la foi qui anime l’orant et de la confiance de Dieu en l’homme. La personne qui prie aborde donc la prière d’intercession avec humilité et joie. Il y a là une sorte d’abandon à Dieu, un élan vital qui exprime le désir d’être en intimité avec son Dieu. Le dialogue poursuivi pendant le culte trouve ici son achèvement dans la plénitude. La présence de Dieu dans l’intercession nous renvoie au monde par un jeu d’altérité.

Face à Dieu, l’humain mesure à la fois sa fragilité et son unicité. L’homme est nu, abandonné face à son créateur. La grandeur de Dieu s’impose ici dans la rencontre au cours de laquelle Dieu s’abaisse pour entrer dans le dialogue intime avec le priant. La différence Dieu-homme permet un espace dans lequel se vit la double présence, la rencontre et la prière. Dans cette rencontre où Dieu s’approche de l’homme, ce dernier renonce à lui-même dans l’humilité. Le silence permet de prendre un temps minimum pour vivre la présence. Le face à face avec Dieu nous renvoie au monde, aux autres, l’altérité entre les humains se manifeste aussi dans cette prière d’intercession qui est pour le monde, pour la vie, pour les humains. Chaque élément, chaque personne apparaît comme unique. La prière ici est le reflet d’une richesse infinie du monde. Après le silence,rendre grâce pour le monde et l’action de Dieu, pour les autres, élargit le champ de la vie.

La prière d’intercession, par la présence de Dieu et l’élargissement au monde, est une source d’énergie que l’on puise à l’intérieur de soi pour agir. Agir, c’est avant tout ne pas oublier. Certes nos prières restent très personnelles et malgré tout inscrites dans notre petit monde et nos préoccupations. Mais sachant mesurer nos finitudes et incapacités, que nous pensions aux autres est essentiel. Ceux qui sont dans la souffrance et la solitude ont besoin d’être soutenus par la prière, par exemple les détenus, qui ont souvent peur d’être oubliés. Prier pour eux leur donne le courage de supporter leur épreuve. L’Association des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT) le sait bien et les témoignages de reconnaissance de détenus envers l’ACAT sont nombreux. Il en est de même pour les malades enfermés dans leurs souffrances, souvent bien isolés dans les nuits à l’hôpital. Mais combien nombreuses sont les occasions de prière pour les autres, de prier pour les autres de manière précise certes, mais aussi de prier pour des valeurs essentielles, comme la justice, ou contre l’exploitation des humains par d’autres humains, ceci étant intolérable et absolument contraire au souffle de liberté qui traverse la Bible… Prier en fait pour que chacun trouve sa place et puisse s’épanouir dans sa vie, ses projets, ses amours. La prière d’intercession sort le monde en souffrance de la solitude et de l’anonymat : enfants maltraités, infirmes, vieillards isolés, réfugiés, sans domicile, exclus, etc. Les oubliés du monde prennent vie dans l’intercession.

Penser aux autres, prier pour eux et agir pour eux reste un acte d’amour. Prier pour ceux qui nous sont très proches et dont la situation nous tient particulièrement à cœur peut sembler intéressé, encore que ce ne soit pas inutile : si on ne prie pas pour ceux que l’on aime, comment prier pour les autres plus lointains, anonymes, franchement antipathiques et pour nos ennemis. L’amour qui s’exprime donc dans la prière d’intercession revêt des formes différentes. Les prières dans la Bible et particulièrement dans le livre des Psaumes sont très riches et diverses. Si les prières de détresse et de louanges sont très nombreuses, souvent l’intercession pour Israël menacé par ses ennemis est évoquée, et nombreuses aussi sont les prières pour la justice. Mais l’amour des ennemis et prier pour « ceux qui nous persécutent » (Mt 5,44) restent une caractéristique du christianisme. La prière chrétienne fait suite à la Première Alliance comme le montre la prière d’Abraham pour les gens de Sodome et Gomorrhe dans la Genèse (Gn 18,22-33), qui ressemble étrangement à une « discussion de marchands de tapis ». Dans cette prière, Abraham dit son humilité devant Dieu auquel il « ose parler », mais il montre aussi sa confiance en Dieu auprès duquel il intercède. Dieu entend bien sa prière et va au final dans le sens d’Abraham… Hélas la perversité qui règne à Sodome ne permettra pas de sauver la ville. La prière d’Abraham reste un exemple de gratuité et d’intérêt pour des gens peu intéressants ! Déjà pointé dans les premières pages de la Bible, l’amour de Dieu s’exprime dans la prière d’Abraham. Cet amour pour rien c’est déjà l’agapè, que l’on retrouve bien sûr autour du Christ et dans les prières des évangiles. L’injonction« aimez vos ennemis » et priez pour « ceux qui vous persécutent » va loin. Elle dit bien jusqu’où va l’intercession. Un peu plus loin dans le sermon sur la montagne, Jésus insiste sur la profondeur de la prière qui n’est pas répétitive, ostentatoire mais qui vient du cœur. Bien sûr, la prière sacerdotale en Jean 17 reste un exemple : Jésus présente son œuvre au Père puis prie pour les disciples au sens large et pour le monde « afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que je sois moi-même en eux » (Jn 17,26). L’intercession nous renvoie au Christ et à son message. La grâce, le salut, nous disent l’amour de Dieu révélé en Christ. L’intercession s’inscrit à la suite du message évangélique et fonde, par la prière et la pensée, la communauté des croyants animée par l’Esprit. Cette communauté constitue l’Église invisible. Les prières d’intercession lors du culte montrent bien que si elles sont intimes et personnelles, elles reposent dans les mains du Père, ce qu’atteste le Notre Père.

L’envoi à la fin du culte laisse les participants aller dans le monde à la rencontre de ceux pour lesquels ils ont prié. L’Esprit invoqué à ce moment-là rappelle que nous ne sommes pas seuls pour vivre ces prières et pour aider ceux pour lesquels on a prié. Ici s’ouvre une autre dimension de la vie des chrétiens qu’est la diaconie, action en faveur des autres, qui commence par la prière d’intercession… Les témoignages du message de la Bible s’inscrivent dans le quotidien des humains pour donner du sens et de l’espérance au monde.

 

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À propos Vincens Hubac

est pasteur de l’Église protestante unie de France au Foyer de l’âme, à Paris. Il est engagé dans la diaconie et intéressé par le transhumanisme.

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