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Le revenu universel : la confusion des genres

 

La question du revenu universel s’est invitée dans la campagne présidentielle 2017, promue par une réflexion qui courait déjà depuis deux décennies au sein des groupes alternatifs ou carrément révolutionnaires ; les hérauts de la question sociale (partis « ouvriers », syndicats) s’en sont emparés tardivement et timidement, presque à contre cœur, car cette question – embarrassante, nous allons le voir – bousculait les a priori politiques bien installés…

Cette question interroge en effet deux champs de compréhension, pas forcément contradictoires, mais nettement décalés : la question des revenus, et celle de la place du travail.

Évidemment, les problèmes sont intriqués, mais la confusion des genres est assurée, si on ne prend pas garde à dissocier ce qui peut l’être…

 Le revenu des personnes

Pêle-mêle viennent se mêler, sur la simple question des revenus, plusieurs sujets :

– Les minima sociaux : comment permettre à tous ceux qui sont fragiles, précaires, exclus, de pouvoir bénéficier d’un socle financier substantiel ? Tout de suite apparaissent les questions : qui sont les précaires ? Les handicapés ? Les chômeurs ? Mais ceux-ci peuvent-ils vraiment travailler ? Et le marché du travail ? Cette question interroge sur le niveau de vie des personnes, sur le coût de la vie, sur les besoins fondamentaux, mais aussi sur le regard que nous portons (jugement) sur la consommation des petits…

– La lutte contre les inégalités : permettre à tous de disposer de revenus qui respectent leur dignité, leur parcours, leur formation. Mais alors, quid de ceux qui n’ont pas eu la chance d’accéder à une formation, qui ont eu des accidents de vie ? Ne faut-il pas davantage parler d’équité que d’égalité ? Ici intervient la question de la place des personnes, de leur prise en compte et de leur intégration dans la société ; les petits, parce qu’ils sont petits, doivent pouvoir compter sur le soutien (solidarité) des grands et des riches… Nous sommes ici dans une dimension quasi morale, qui appelle à des considérations de solidarité/fraternité.

– L’éradication de la pauvreté : a priori, la pauvreté est liée au manque d’argent, mais est-ce seulement une question de manque de revenus ? L’isolement, la détresse psychique, l’ostracisme et l’exclusion sont des causes comme des conséquences de la pauvreté ; au-delà de la question des revenus, parler pauvreté signifie immanquablement parler de ce que nous faisons

– ou ne faisons pas – pour éradiquer la pauvreté « non monétaire », celle qui est inscrite au fond de chacun, qui peut venir ou revenir à la moindre bourrasque affective ou sociale. Qu’on le veuille ou non, nous serons amenés à nous pencher sur les seuils de la pauvreté : quand devient-on pauvre ? À quelles conditions de logement (par exemple) devenons-nous des pauvres, ou simplement des précaires ?

 La place du travail

Un autre aspect du revenu universel vient par ailleurs s’inviter dans le débat : puisqu’il s’agit de revenus, et que la conscience collective attache un revenu au travail, quelle place donnons-nous au travail dans nos sociétés postmodernes ?

– La simple considération de l’avancée du progrès technologique nous permet de constater la profonde mutation de la place du travail ; les robots vont détruire des millions d’emplois rémunérés, et il peut être surprenant de vouloir taxer les robots, qui sont par essence là pour nous permettre de vivre mieux, avec moins d’efforts. Ainsi pourrait-il être intéressant de déconnecter la question du revenu de celle de l’effort, abandonnant par là même la dimension doloriste trop souvent véhiculée.

– Quelle contribution attacher au travail ? Celle du capital paraît dépassée, on peut alors avancer vers la contribution sociale et environnementale du travail, qui commence à sortir la question du revenu du schéma productiviste classique : nous travaillons aussi à protéger notre terre, qui est unique, que nous ne pouvons donc pas vendre ou marchander à autrui ; c’est probablement l’affaire de tous pour tous, comme pourrait l’être la préoccupation des pauvres ou des faibles, qui nous concerne tous puisque nous avons tous été un jour faibles et pauvres, et que nous le deviendrons tous un jour… La contribution sociale est du même registre : qu’est ce que c’est que vivre en société si ce n’est vivre avec les autres, non pas tout seul au milieu des autres, mais en bonne harmonie avec les autres ? Ici le coût du travail peut être considéré comme une contribution collective, puisque nécessaire à notre survie planétaire, et partagé par tous ; il peut être aussi apprécié au prix moral et matériel que cela coûterait de ne pas nous occuper des pauvres, ni des eaux polluées…

– Qu’est-ce qui est attendu du travail, sur le plan personnel ? Probablement remplir une fonction de développement personnel, qui nous permet de nous élever de notre condition, tendre vers le mieux et le progrès, vaincre la mort et la fatalité… Cette dimension est alors infinie, car l’accomplissement de chacun est différent : quand une personne handicapée arrive à vaincre une partie de son handicap, à force de travail, quand une équipe l’aide à atteindre cette marche, n’y a-t-il pas là lieu d’accomplissement majeur, tout aussi valeureux et essentiel que l’entrepreneur à succès qui construit un empire d’usines ?

Un débat infini, sauf peut-être à en extraire quelques réflexions essentielles

Au rang de celles-ci, la question du partage ; que partageons-nous ? L’enrichissement de quelques-uns ne peut-il pas se comprendre dans une limite de cet enrichissement et donc dans un partage de ce surplus ? À creuser la question des richesses, beaucoup de nos contemporains mesurent (et témoignent) que la richesse matérielle ne contribue que peu au bonheur.

Le mot est lâché : le bonheur. Celui de vivre ensemble, d’être certes différents, mais de confronter ces différences, par exemple sur le lieu de travail. Celui de faire ensemble, de contribuer chacun selon ses talents à un but commun ; celui qui a plus de talents (de rapidité, de compréhension, d’habileté) pourrait recevoir un peu plus, mais pas 500 fois plus…

L’égalité ? En réfléchissant sur notre condition humaine, nous revenons tous à la conclusion que nous finissons tous dans le même état ; un cercle d’économistes anglais proposait qu’au-delà d’un certain âge, ou d’un certain niveau de dépendance, tout le monde ait le même patrimoine et le même revenu, car ne pouvant utiliser ces revenus ou jouir de ce patrimoine plus que ce que les capacités atteintes ne le permettent…

Universel enfin, c’est-à-dire se préoccupant de tous, offrant un bonheur à tous, en interrogeant chacun sur le niveau de son bonheur, et du revenu qu’il estime nécessaire pour y parvenir ; on serait probablement surpris de la sobriété profonde des êtres, une fois ce petit travail d’introspection mené individuellement, en toute conscience et en toute liberté…

Alors, quel revenu universel ? Celui en tout cas décidé collectivement, démocratiquement, interrogeant à la fois les institutions qui nous représentent, et les groupes locaux cherchant à cerner sur un territoire les raisons profondes d’un vrai vivre ensemble. Mais en tout cas pas un revenu universel, mécanique, décidé par quelques sachant savants….

 

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À propos Jean Fontanieu

est le secrétaire général de la Fédération d’Entraide Protestante depuis 2011. Il a travaillé essentiellement dans le secteur privé, dans les branches formation et communication, avant de consacrer une grande partie de sa carrière à l’édition. Il a publié environ 2500 ouvrages dans de nombreuses maisons d’édition, qu’il a pour certaines créées. Il concentre aujourd’hui son travail sur l’action sociale.

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