Vous avez analysé dans l’ouvrage que vous avez publié en 1992 les compromissions de l’Église du Christ, qui représente l’ensemble du protestantisme (25 % sur 60 millions) en République démocratique du Congo (Zaïre à l’époque), avec le régime dictatorial du président Mobutu ; comment en est-on arrivé là ?
P. Kabongo-Mbaya : Marginalisés et discriminés pendant la colonisation, les protestants aspiraient au traitement égalitaire entre les confessions chrétiennes dans l’ex-Congo belge. Le président Mobutu, très méfiant vis-à-vis de l’épiscopat catholique, a vu d’un bon oeil la prédisposition des protestants à son égard. Au moment où l’autocratie s’est affirmée, les dirigeants protestants en finissaient avec l’autorité missionnaire. Ils ont proclamé une Église du Christ au Congo (ECC) pour faire pendant au catholicisme. Avec un zèle impressionnant, ils ont apporté une légitimation inespérée au régime et se sont mis sous ses auspices. Ils ont déclaré Mobutu « le Messie » du peuple congolais. L’Église unie a fonctionné comme une dynamique tentaculaire, quadrillant toutes les dénominations protestantes. La propagande du régime devint une autre référence de la prédication protestante, séduite par l’idéal d’un fantasme : être une Église « authentiquement » zaïroise. Cette conduite évolua en une culture d’inféodation politique.
Après le renversement de Mobutu en 1997, les autorités protestantes ont soutenu le nouveau régime dictatorial de Kabila père, puis celui de Kabila fils ; pourquoi ?
Pressés de faire allégeance, les représentants de l’ECC ont d’abord été boudés par Laurent Kabila, qui les considérait comme des mobutistes. Ce dernier a dû affronter des rébellions fomentées par le Rwanda et l’Ouganda. L. Kabila révisa alors son attitude et réintégra les dignitaires mobutistes. La direction de l’ECC finit par trouver grâce à ses yeux. La méfiance envers l’épiscopat catholique, elle, subsistait. Le président de l’ECC, Pierre Marini Bodho devint président du Sénat et de la Fondation vouée à L. Kabila, fraîchement assassiné. Depuis lors, les dirigeants protestants constituent un dispositif non négligeable du système en place. La cathédrale protestante de Kinshasa est un haut lieu des solennités de l’État et du parti de Joseph Kabila ! Cette situation cache des bénéfices juteux dont profitent les hautes personnalités protestantes, grâce à l’« économie de prédation » contrôlée par le pouvoir (mines, ressources naturelles, contrats, commissions…). Des liens solides de clientélisme unissent les dirigeants protestants à la ploutocratie qui écrème le Congo. De 1997 à ce jour, les violences multiformes dans l’est du Congo ont fait plus de 6 millions de morts. Un « génocide informel » est entretenu par les milices, les troupes rwandaises et ougandaises qui terrorisent les populations et les poussent à quitter leurs terres. Le viol massif de femmes, la propagation du VIH/ Sida, les massacres des villageois, donnent à la région un visage d’enfer sur terre !
Le régime de Joseph Kabila est aujourd’hui très impopulaire dans un pays qui semble à la dérive ; existe-t-il des résistances contre le régime au sein du protestantisme en RDC ?
Le fait que le sommet de l’ECC soit coupé de la base de l’Église, mais surtout des Églises régionales, favorise des initiatives parfois surprenantes : des veillées de prière demandant la disparition de Kabila, des prédications anti-kabilistes incendiaires, des imprécations contre les dirigeants de l’ECC. Fait significatif : les réclamations du Synode en mars 2016 rejoignaient ce contexte. Vis-à-vis de la situation politique du pays, les protestants ne rejettent pas le régime à cause de leur appartenance, mais comme le reste de la population. Présents dans les partis de l’opposition, ils ne diffèrent des autres citoyens que sur leur demande de changement à la tête de l’ECC.
Pour eux, l’enjeu consiste également à restaurer l’image du protestantisme dans le pays.
Philippe Kabongo-Mbaya a publié Église du Christ au Zaïre, Paris, Karthala, 1992.
Propos recueillis par Jean-Paul Augier
Pour faire un don, suivez ce lien