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Anselm Kiefer, Homme dans la forêt, 1971

 

302-24-2Anselm Kiefer s’était déjà fait photographier en train de faire le salut nazi, dans l’uniforme militaire de son père, officier de la Wehrmacht. Dans le tableau que voici, il se représente à nouveau lui-même, vêtu d’une grande robe blanche intemporelle évoquant un personnage mythique brandissant une branche enflammée peut-être caractéristique de certains gestes nazis. La forêt impressionnante dans laquelle il se situe est un symbole traditionnel de l’Allemagne éternelle dont il évoque sans cesse le souvenir. Représentée ici, sombre, sans chemin ni issue, elle fait aussi penser à la sinistre ambiance d’enfermement nazie. Fierté, romantisme, gloriole, union à la nature, certainement, mais aussi solitude et étouffement menaçants. Anselm Kiefer est né en 1945. Il a vécu les premières années de sa vie dans une Allemagne en ruine. Ses parents lui ont raconté que le jour de sa naissance une bombe était tombée sur la maison des voisins, ne laissant que des poutres, des gravats et des tôles tordues.

Ses tableaux évoquent ce passé. Ils sont gris et sans couleurs, vides et sans joie. Il disait pourtant : « Plus vous restez devant mes tableaux, plus vous en découvrez les couleurs. Au premier coup d’œil, on a l’impression qu’ils sont gris mais en faisant plus attention, on remarque que je travaille avec une matière qui apporte la couleur. » Cette couleur n’exprime en tout cas que la désespérance.

Il a bien su voir – et montrer – les ravages évidents causés par l’effroyable idéologie nazie. Tels de ses tableaux représentent avec réalisme une boue, symbole du sol où s’enlisait le peuple allemand. Il se complaît manifestement dans la dénonciation déprimante d’une guerre ayant laissé de lamentables ruines. Et pourtant celles-ci sont désormais reconstruites avec un magnifique dynamisme créateur par les concitoyens de sa génération !

Peut-être aurait-il pu se souvenir de la Ligue d’espérance « Pfarrerbund » qui réunissait 6 000 pasteurs, avec le pasteur Martin Niemöller – ensuite interné à Sachsenhausen et à Dachau – qui croyaient en un sol ferme sous leurs pieds.

Peut-être aurait-il pu penser également que dans les forêts qu’il a peintes si noires, en témoins du temps où les nazis régnaient sur les esprits, un groupe de professeurs de théologie – avec Dietrich Bonhoeffer, pendu ensuite au camp de Flossenburg – et leurs étudiants s’étaient réfugiés pour y constituer la libre Faculté de théologie de l’Église confessante allemande, antinazie, petite lumière d’espérance et de renouveau pour des lendemains libres, honneur de l’Allemagne éternelle.

Et lorsqu’il peignait cette forêt sans chemin, peut-être aurait-il pu se souvenir que des résistants allemands en avaient, eux, trouvé les issues et y avaient marché avec des fugitifs juifs qu’ils faisaient passer en Suisse. Il aurait alors ajouté à ses immenses toiles désespérées de véritables couleurs et une lumière faite de foi, d’espérance et d’amour !

 

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À propos Gilles Castelnau

a été pasteur de paroisse à Amsterdam et en Région parisienne. Il s’est toujours intéressé à la présence de l’Évangile aux marges de l’Église : aumôneries militaires, de prison, universitaires, Croix Bleue. Il anime depuis 17 ans le site Internet Protestants dans la ville.

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