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La question migratoire, un carrefour sur nos chemins

Migrants à la frontière hongroise. Photo © Dreamstime.

Migrants à la frontière hongroise. Photo © Dreamstime.

Jamais question politique n’a peut-être été aussi prégnante que la question migratoire ; elle traînait certes dans les cartons de nos inquiétudes sourdes, alimentée par des actualités récurrentes mais si lointaines, mise sur le devant de la scène par quelque politicien en mal d’audience ; mais au fond, nous n’y croyions guère, revêtus de la certitude humaniste héritée des Lumières. Et puis, en bien fermant les yeux et les oreilles, nous nous persuadions que les policiers feraient leur travail, fermant nos frontières, renvoyant suffisamment de personnes dans leurs pays ; et s’il en restait quelques-uns dans nos banlieues, ils se fondraient quand même dans le paysage…

Et d’un coup, le phénomène s’accélère, et la société s’enflamme ; à la suite d’un enchaînement dramatique de décisions géopolitiques aventureuses, à cause de printemps arabes à peine éclos et déjà refermés, à cause de dictateurs ayant poussé un peu trop loin ce qui semblait acceptable, ils sont arrivés, fuyant en masse des pays où l’avenir ne s’écrit plus.

Ils sont là, à nos portes, hurlant leur désespoir, et nous sommes là, avec nos anciens modèles, nos peurs enfouies, nos logiciels en panne.

Comment dépasser ce blocage ? Comment entrer dans une nouvelle compréhension où les migrations ne seront qu’un phénomène courant ? Évocation de quelques perspectives…

 La peur de l’autre

C’est probablement le réflexe le plus ancien, mais aussi le plus tenace ; il s’écrit dans notre histoire, comme autant de répétitions que nous voyons s’enchaîner, malgré les preuves des désastres et des conflits que ce sentiment génère.

Accepter la différence ne peut se faire qu’avec la découverte et la compréhension que l’autre est la même face de nous-mêmes ; la face de Dieu est multiple, reflets de notre humanité, mais elle est aussi homogène, c’est-à-dire que nous pouvons nous y reconnaître, comme dans un miroir, quels que soient les angles par lesquels on l’observe ; c’est dans l’expérience, la rencontre, que cette découverte peut s’accomplir ; et l’on verra alors que l’étranger mange comme nous, rit comme nous, souffre comme nous, meurt comme nous. Les étudiants du programme Erasmus rapportent souvent qu’ils sont sidérés de voir comment leurs voisins européens, souvent distants de plusieurs milliers de kilomètres, blaguent sur les mêmes sujets ! Organisons des séances de caricatures internationales ! Multiplions les repas « exotiques » qui diront mieux que nos discours combien nos papilles gustatives sont si semblables.

La question de l’espace de nos tentes

Alors que le « village mondial » revêt des caractéristiques objectives, il semble que notre espace mental se rétrécit à mesure que notre capacité à voyager, à consommer « différent » augmente. Paradoxe de la mondialisation ? Plus profondément peut-être, l’observation que la tentation du repli est toujours à l’œuvre, comme si ce réflexe réducteur était une de nos caractéristiques profondes… Mais non, l’univers est en expansion, la vie se répand, les cellules se déploient, les graines voyagent ! Alors quoi ? Pourquoi ce déni du mouvement naturel ? L’espérance à laquelle nous refusons d’accéder, peut-être parce que la confiance se rétrécit… Trop de mensonges, trop de crimes ont érodé cette confiance.

 Quel changement de paradigme nécessaire ?

Comment dès lors combiner les paramètres pour avancer un peu mieux ? Comment déjouer les malédictions des crises annonciatrices de catastrophes ?

Éduquer, certainement, en tout premier lieu ; dès le plus jeune âge, vivre le partage, inviter, prendre des risques, expliquer, rire ensemble, dédramatiser ; mais aussi commencer petit, montrer l’homme et son intelligence, célébrer la vie foisonnante et différente, entendre toutes les options, enseigner la tolérance…

Pratiquer ensuite : l’accueil inconditionnel, la confiance en demain, l’insouciance de vivre ; montrer à nos enfants que l’autre est un vrai frère ; échanger nos savoirs, nos us et nos coutumes ; ouvrir plus les fenêtres, et nous aurons moins froid…

Vivre la dépossession et montrer ses bienfaits : nous y gagnerons une plus grande quiétude, sans perte de satisfaction ; le culte de la consommation n’est pas étranger à la crainte de l’étranger : ils peuvent prendre nos biens, nous qui en manquons tant, et si nous avons moins, que viendront-ils nous prendre ?

S’engager ensuite, en réfutant les discours meurtriers, trier dans nos médias, chercher les bonnes nouvelles ; voyager avec moins de filets de protection, les oreilles et les yeux tout grands ouverts, sans trop se soucier du confort ni de la similitude des aliments…

Peut-être à ce prix-là notre frère sur terre sera-t-il un peu moins menaçant ? Peut-être trouverons-nous normal que nos postes frontières ne soient plus que des bornes, et non pas des obstacles. À l’heure où ne se sont jamais construits à travers le monde autant de murs, puissions-nous nous rappeler qu’ils se sont toujours écroulés, un jour ou l’autre, non sans avoir porté la ruine à l’intérieur.

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À propos Jean Fontanieu

est le secrétaire général de la Fédération d’Entraide Protestante depuis 2011. Il a travaillé essentiellement dans le secteur privé, dans les branches formation et communication, avant de consacrer une grande partie de sa carrière à l’édition. Il a publié environ 2500 ouvrages dans de nombreuses maisons d’édition, qu’il a pour certaines créées. Il concentre aujourd’hui son travail sur l’action sociale.

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