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6. La naissance de Jésus

Louis Pernot 3Aujourd’hui, beaucoup ne croient pas que Jésus ait pu naître d’une femme sans l’intervention d’un homme : à peu près une personne sur deux chez les protestants, et les jeunes y croient moins que les autres… on a le choix. On peut penser que ça a été une manière imagée pour les premiers prédicateurs de l’Église de dire aux gens que Jésus était « fils de Dieu ». Or, si affirmer que Jésus est fils de Dieu est fondamental dans le christianisme, on peut l’entendre autrement que gynécologiquement : il est fils de Dieu parce qu’il en est le meilleur représentant, parce qu’il tient de Dieu lui-même l’essentiel de ce qu’il était intérieurement, ou qu’il en est le serviteur, puisqu’en hébreu, le mot « fils » signifie aussi « serviteur », comme en français le mot « garçon » (de famille, ou de café).

Il y a même eu une hérésie qu’on appelait « adoptianiste » qui affirmait que Jésus n’était pas « fils de Dieu » par sa conception, mais qu’il l’était devenu au moment de son baptême par Jean dans le Jourdain. Ainsi Dieu aurait adopté Jésus, et l’aurait appelé son fils à 30 ans. Et la parole qui est dite venir du Ciel : « Celui-ci est mon fils en qui j’ai mis toute mon affection » ne serait pas pour dire quelque chose vrai depuis 30 ans, mais pour instaurer Jésus fils de Dieu. L’hérésie « adoptianiste » a été condamnée par l’Église romaine au IVe siècle où on appelait ses partisans « nestoriens », mais il en reste encore en Orient, et les protestants ont droit à l’hérésie !

Nous sommes habitués à lire dans les textes bibliques, comme en Matthieu 1,18-25, l’idée d’une naissance virginale ; pourtant, on peut très bien lire ce texte autrement, et comprendre ce qui a pu se passer historiquement.

Relisons le texte avec des yeux neufs :

18 Voici comment arriva la naissance de Jésus-Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph ; avant leur union, elle se trouva enceinte.

Jusque-là pas de problème : Marie et Joseph étaient fiancés et avant qu’ils aient couché ensemble, Marie se trouve enceinte, mais pas de Joseph. Le texte ajoute : « du Saint-Esprit » ; cela ne parle pas forcément de sexualité, mais peut vouloir dire que cet événement avait quelque chose qui se révélera positif et dans le sens du projet de Dieu.

La question de savoir qui était le père biologique de Jésus importe peu. La tradition juive dit qu’il s’agissait d’un soldat romain et en donne le nom : Pandera (ou Panthéra). Il s’agissait peut-être d’une invention faite dans le but de discréditer Jésus, mais ce pourrait être vrai. Sans doute pour discréditer encore, une certaine tradition a dit que Marie s’était plus ou moins offerte à un soldat romain, et d’autres ont même avancé qu’elle s’était prostituée. Le plus plausible serait que Marie ait pu être violée. Les armées d’occupation n’étaient pas tendres, et les soldats vainqueurs violaient assez facilement les jolies jeunes filles de 16 ans comme Marie.

19 Joseph, son époux, qui était un homme de bien et qui ne voulait pas la diffamer, se proposa de rompre secrètement avec elle.

On comprend donc que dans tous les cas, Joseph, sachant qu’il n’est pas responsable de la grossesse de sa fiancée, décide de rompre ses fiançailles. Normalement, d’après la loi juive, il aurait dû la dénoncer au tribunal juif du Sanhédrin, et Marie aurait été condamnée à mort, égorgée avec l’enfant qu’elle portait, c’était la loi. Mais le texte nous dit que Joseph, gentil, propose de ne pas la dénoncer, mais de rompre secrètement. Il lui dit donc qu’il rompt et la renvoie sans la dénoncer, ce qui lui sauve la vie.

20 Comme il y pensait, voici qu’un ange du Seigneur lui apparut en songe et dit :

Autrefois, on croyait que Dieu parlait dans les rêves, et par des anges. C’était des façons d’exprimer leur expérience. Aujourd’hui, on pense plutôt que Dieu nous parle dans notre cœur, directement dans nos pensées quand on le cherche, quand on prie, quand on réfléchit en lisant la Bible. Donc pour transposer en langage moderne, on pourrait dire que Joseph, en pensant à tout ça, dans sa foi, dans sa prière, comprend quelque chose qui vient de Dieu.

 Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie, ta femme, car l’enfant qu’elle a conçu vient du Saint-Esprit ;

Et ce qu’il comprend, c’est que s’il renvoie Marie, certes, il lui sauve la vie, mais il la condamne à une vie de mendicité et d’exclusion. Les « filles-mères » étaient extrêmement mal vues, elles ne pouvaient avoir de place dans la société, ni de travail, et si cela pouvait se justifier pour elle, l’enfant qui allait naître serait condamné à cette même vie infâme. Or ça, ce serait très injuste, parce que lui, il n’y est pour rien. Comme Joseph le comprend, l’enfant, lui, n’est pas l’enfant de l’adultère, ni du viol, mais il est, comme tout enfant, enfant de Dieu. Joseph décide donc, à cause de l’enfant, de garder sa fiancée, et d’adopter l’enfant.

Cette lecture alternative du récit de la naissance de Jésus est, certes, assez peu conventionnelle, et peut en choquer certains ; on pourrait se contenter d’une version édulcorée disant que Marie est bien enceinte « du Saint-Esprit », mais que, pour Joseph et l’entourage, ça ne change rien : elle tombe enceinte sans en avoir le droit. Dans tous les cas donc, cette lecture historique a un sens bien intéressant, elle montre qu’à partir d’une situation effroyable d’adultère, de violence ou de tromperie, on arrive finalement, par la bonté d’un homme inspiré par Dieu, à la naissance du sauveur de l’humanité. C’est donc une bonne nouvelle, il n’y a pas de situation trop mauvaise pour qu’on doive désespérer, même du pire peut sortir le meilleur, le mal peut être transformé en bien. C’est le sens aussi de la mort du Christ qui deviendra la base de toute l’espérance chrétienne grâce à la résurrection. Et en passant il y a là une critique de la religion établie : dans cette mauvaise situation, la religion ne faisait qu’aggraver les choses par le jugement et la peine de mort. Et c’est par la transgression de Joseph qui choisit, par amour et générosité, de ne pas respecter la lettre de la loi, que la vie sera sauvée et que pourra naître le sauveur.

Mais même s’il n’y a pas eu de naissance virginale d’un point de vue biologique, l’idée est théologiquement très riche, et on peut défendre la thèse de la naissance virginale pour le sens qu’elle a.

On voit en effet dans le début de l’évangile de Matthieu une longue généalogie avec des gens célèbres, puis seulement des inconnus. Or la succession aurait pu se prolonger indéfiniment par des inconnus engendrant des inconnus. Mais voilà que dans cette histoire humaine sans relief il y a l’irruption du Saint-Esprit, et tout change, et le banal engendre l’extraordinaire qui sera le Christ. C’est donc une histoire humaine qui à un moment donné rencontre Dieu, se laisse féconder par lui, et les deux s’unissant donnent naissance au salut.

Nos vies sont comme ça : une succession de journées et de moments banals, et il faut que notre propre histoire à un moment rencontre Dieu et se laisse féconder par lui, qu’au déroulement matériel de nos vies s’unisse une dimension spirituelle, et alors naît une dimension nouvelle de joie, d’amour, de salut, de liberté et d’éternité.

Ce qui arrive à Marie, ce n’est pas un événement historique lointain, c’est ce que doit être notre histoire ; et comme Marie, nous pouvons être fécondés par le Saint- Esprit pour donner naissance à Jésus Christ, pour que de nos vies naisse une dimension christique pleine de promesses divines.

C’est un vieux thème que l’on trouve même en dehors de la Bible ; les philosophes stoïciens enseignaient que la matière, féminine, devait se laisser féconder par la parole créatrice pour donner le monde : le « logos spermatikos », la parole spermatique. Et dans la Bible, il y a toute la thématique du mariage, comme dans le Cantique des Cantiques, présentant la relation d’un amoureux avec sa belle comme une image de la relation de Dieu avec l’humanité. Le Christ se présentera comme l’ « époux ». Et Paul reprendra cela (2 Co 11,2) : « Je vous ai fiancés à un seul époux, pour vous présenter à Christ comme une vierge pure. »

Et ainsi, c’est cela à quoi nous sommes invités, nous unir à Dieu, arriver de plus en plus dans une relation intime, faire l’amour avec lui en nous unissant avec lui et en l’associant à toute notre vie, et nous laisser pénétrer par sa parole qui est une source de vie qui peut nous transformer et nous rendre féconds d’amour, de paix et d’espérance.

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À propos Louis Pernot

est pasteur de l’Église Protestante Unie de France à Paris (Étoile), et chargé de cours à l’Institut Protestant de Théologie de Paris.

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