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L’œcuménisme du martyre

Nous sommes tous des chrétiens d’Orient. Ni particulariste, ni partisane, leur cause est universelle. Car leur tragédie, qui se déroule dans l’indifférence de l’opinion mondiale et la passivité de la communauté internationale, n’en constitue pas moins un tournant historique et une catastrophe planétaire. Avec leur disparition se délite le chaînon qui nous relie aux premières civilisations de l’Écriture, aux sources de la Bible, aux origines de l’Évangile et la genèse du Coran. S’efface la fonction de passeurs de cultures entre l’Est et l’Ouest, le Sud et le Nord, qui a été la leur. S’estompe la distinction entre le christianisme et l’Occident dont ils témoignent. S’amenuise la capacité d’Israël à rompre la barrière de son antagonisme avec l’arabité, de l’islam à consolider la frontière de son étanchéité avec l’islamisme, dont ils auraient pu être les facilitateurs. Et s’évanouit la prétention de l’Amérique et de l’Europe à promouvoir l’impératif humanitaire dont elles se réclament et que dément et accable l’irrésolution embarrassée qu’elles professent à leur égard.

C’est ainsi que leur extinction annoncée signe notre suicide moral. Non seulement parce que nous autorisons l’éradication des chrétiens sur les terres natives de la foi chrétienne. Non seulement parce que nous acceptons que l’impératif de combattre la barbarie vaille pour tous, sauf pour eux. Non seulement parce que nous acquiesçons à ce qu’ils soient sacrifiés comme une variable d’ajustement dans le jeu diplomatique des puissances dominantes. Mais aussi, et surtout, parce que nous consentons, par là même, à ce que la mondialisation se réduise toujours plus, demain, à un empire barbare, rongé en son centre par l’amnésie et à sa périphérie par les tribalismes.

Au cœur de la question des chrétiens d’Orient, se trouve en effet le principe de médiation qui est inhérent à la biodiversité des cultures. Sous le poids des quatorze siècles qu’ils ont traversés en minoritaires absolus, la leur est devenue celle de l’entre-deux. Pris en tenailles entre la tyrannie du monde musulman et l’instrumentalisation du monde occidental, considérés tour à tour comme assujettis, supplétifs, otages, boucs émissaires, ils ont résisté grâce à leur piété. À l’heure où leur identité désarmée fait d’eux la proie idéale des identités vindicatives, leur malheur s’avère radical. Car ces hommes du milieu sont désormais des hommes en trop.

Cette question est aussi bien celle de toutes les chrétientés. Car elles sont toutes présentes en Orient, soit parce qu’elles y sont nées pour les plus anciennes, soit qu’elles s’y sont invitées pour les plus récentes, dans une sorte de pèlerinage missionnaire aux allures parfois d’entreprise coloniale. Peu importe, le résultat est là. Il est autant d’Églises orientales qu’en ont connues les deux mille ans de christianisme, et leur mosaïque récapitule l’ensemble des confessions, quitte à composer un tableau synthétique de leurs divisions.

On y trouve la famille préchalcédonienne, issue de la rupture des marches de la romanité au Ve siècle, les Assyriens d’un côté, les Syriaques, Arméniens, Coptes, Abyssins de l’autre, avec à cheval les Malabars et Malenkars d’Inde ; la famille orthodoxe, issue du divorce entre Latins et Grecs au Moyen Âge ; la famille catholique, issue de la politique d’union promue par la papauté à partir de la Renaissance, qui a doublé chaque entité orientale d’une entité affiliée, non sans créer des entités proprement latines ; la famille protestante, issue de la scission entre la Réforme et Rome, qui a vu surgir des implantations anglicanes, luthériennes, calvinistes à partir du XVIIIe siècle, auxquelles s’ajoutent aujourd’hui des groupes évangéliques.

La chronique de leurs relations a été forcément tumultueuse. Mais les murs de séparation des mémoires blessées craquent désormais devant l’urgence que créent les persécutions endurées en commun. Cet oecuménisme du sang auquel nous convoquent les chrétiens d’Orient doit aussi être le nôtre.

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À propos Jean-François Colosimo

Directeur des Éditions du Cerf, enseignant à l’Institut orthodoxe Saint-Serge, Jean- François Colosimo est l’auteur, entre autres, chez Fayard, de Les Hommes en trop – La malédiction des chrétiens d’Orient.

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