J.-P. Augier : L’association Patrimoine huguenot d’Ardèche a déjà une longue histoire, puisqu’elle est née en 1995 ; son but n’étaitil pas d’empêcher une perte irréversible de la mémoire huguenote ?
D. Picheral : À l’époque de la fondation de notre association, il y avait deux motivations. L’une était, en effet, malgré les témoignages écrits que nous possédions, le risque d’une perte de la mémoire huguenote en Ardèche. L’autre motivation était liée aux questions que posaient les touristes, à cause sans doute de la visibilité du protestantisme dans le paysage. Parmi ces touristes, il y avait aussi des descendants de protestants qui avaient émigré dans les pays du Refuge, et qui voulaient en savoir plus sur leurs ancêtres.
— Cela explique que votre association a privilégié la résistance huguenote pendant la période du Désert ?
— Marc Autrand, le fondateur de Patrimoine huguenot d’Ardèche, était très attaché à la période du Désert car il jugeait passionnant de faire revivre la résistance obstinée et pacifique des réformés de la province du Vivarais, qui coïncide avec l’actuel département de l’Ardèche. Mais depuis, notre association s’est intéressée à d’autres périodes. Par exemple, on a évoqué les darbystes, très présents en Ardèche, dont les origines remontent au XIXe siècle. Notre association s’est intéressée aux soldats protestants pendant la Première Guerre mondiale. Nous avons aussi évoqué une période plus récente, l’accueil des juifs par les protestants ardéchois, leurs participations à la résistance, notamment à Vernoux, où plusieurs protestants ont été arrêtés, dont le pharmacien du village, à cause de leur activisme anti-vichyssois et anti-nazi. Nous avons aussi essayé de comprendre comment le protestantisme s’est assez soudainement implanté en Vivarais au XVIe siècle.
— Ces récits du Désert n’ont-ils pas expliqué l’attitude des protestants ardéchois pendant la période de Vichy et l’occupation nazie ?
— Ce n’est évidemment pas un hasard si beaucoup de protestants ont accueilli des juifs et ont participé à la Résistance. En Ardèche, les protestants étaient républicains grâce justement à cette mémoire huguenote. Ils votaient même à gauche, voire très à gauche. Cette posture politique, originale dans un milieu rural réputé conservateur, a duré jusqu’aux années 1970-1980.
— Cela veut dire que la tradition de résistance n’a pas survécu aujourd’hui ?
— Je réponds avec prudence car j’ai l’impression que cette mémoire de résistance est en train de disparaître pour plusieurs raisons : la baisse démographique des protestants en Ardèche, des pasteurs qui ne se sentent pas toujours concernés par ce passé, surtout ceux qui sont de sensibilité évangélique. La sécularisation joue aussi son rôle ainsi que l’arrivée de populations qui n’ont pas la mémoire de ce passé, même si, parmi les personnes qui s’installent en Ardèche, quelques-unes vont s’intéresser à l’histoire huguenote.
Et pourtant, à Saint-Sauveur-de-Montagut, il y a quelques années, en septembre 2009, la mémoire huguenote s’est à nouveau manifestée. Un Tunisien, sans papiers, a été arrêté pour être expulsé alors qu’il vivait dans le village depuis quatre ans. Cela a mis les habitants en émoi d’autant que son arrestation s’est déroulée dans un lieu qui était tout un symbole, au bas d’un appartement où des juifs avaient été cachés pendant l’occupation. La réaction de la population a été très forte et a permis le retour de ce Tunisien. Le député a dit que, s’il y avait un lieu où il ne fallait pas faire cela, c’était dans cette vallée protestante des Boutières, où se situe le village de Saint- Sauveur-de-Montagut. Des réformés ont été très actifs, ainsi que le curé du village. Mais il faut ajouter que cette affaire a aussi divisé les habitants, dans la paroisse protestante, et surtout dans la paroisse catholique, à cause de l’engagement de leur curé.
Pour faire un don, suivez ce lien