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Bénissons

Et si la véritable mission de l’Église, de ses membres, était de bénir ? Essayons de décentrer notre regard ; essayons de ne pas penser à nos équilibres ecclésiaux, aux rapports de force entre les différents courants, les différentes sensibilités ; essayons de ne pas nous focaliser sur la question des couples de même sexe ; et pensons à la situation du chrétien au sein de ce monde que Dieu a tant aimé, selon les termes de l’évangile de Jean. L’aimer, ce monde, c’est faire résonner encore aujourd’hui le verbe de Dieu pour qu’il prenne chair. C’est faire retentir, encore aujourd’hui, ces paroles de Dieu qui font surgir un monde vivable à partir du tohu-bohu qui nous environne.

 Dire du bien

Le verbe « bénir », dans les langues bibliques, signifie « dire du bien ». Cela est particulièrement sensible avec le mot grec eulogia, « bonne parole », qui donne le mot « éloge ». Bénir, c’est faire un éloge. Cela est compréhensible par tout le monde, qu’il soit croyant ou non, qu’il adhère à une Église ou non. Faire un éloge, nous savons que cela est rare, de nos jours. Il y a bien des éloges funèbres qui arrivent trop tard. Il y a bien l’éloge que le nouvel académicien fait de son prédécesseur – mort – qui n’a donc pas d’autre intérêt que de faire valoir son art rhétorique. Faire un éloge, dire du bien, est de plus en plus rare parmi les vivants. Or c’est bien le Dieu des vivants que nous entendons honorer, c’est donc aux vivants que nous avons à adresser les éloges qui conviennent.

Bénir, donc, dire du bien, voilà ce qui manque cruellement de nos jours. Inutile de faire un catalogue des non-amabilités, voire des anathèmes, qui sont échangés sur la place publique : il suffit de s’intéresser à l’actualité pour en faire provision. Le temps est au dénigrement, autrement dit à la malédiction, parole qui n’est justement pas créatrice, qui réduit l’existence de celui à qui elle s’adresse, qui va jusqu’à le disqualifier. Certes, l’Église a une dimension prophétique, les croyants ont parfois à dire non, à refuser ce qu’ils estiment contraire à l’espérance divine. Mais l’essentiel du travail chrétien est de porter ces bonnes paroles qui rendent le monde plus vivable, qui élargissent l’horizon.

 Ouvrir plutôt que valider

Dire du bien n’est pas envisagé sous la forme d’un consentement à ce qui est. Les bénédictions ne consistent pas en une parole qui atteste que l’état actuel est satisfaisant. La bénédiction est une ouverture à ce qui peut advenir. Dieu bénit les vivants dans le premier récit de la création de la Genèse, en leur indiquant qu’ils sont capables d’être féconds, de croître (Gn 1,22). À l’homme il ajoute qu’il est capable d’être responsable du vivant (Gn 1,28). Plus loin, les bénédictions des patriarches indiquent un avenir possible. Elles portent la vie en avant en lui faisant miroiter de nouvelles possibilités, de nouveaux défis à relever. Ces bénédictions sont autant d’éléments qui peuvent servir de points d’appuis bibliques à la théologie du Process qui désigne Dieu comme ce qui permet de réinjecter du possible dans l’histoire humaine. À ce titre, la bénédiction de Joseph par son père, Jacob, est exemplaire. Jacob dit à son fils : « Les bénédictions de ton père l’emportent sur les bénédictions de ceux qui m’ont conçu, jusqu’aux extrémités des collines éternelles. » (Gn 49,26) Nous y découvrons qu’une bénédiction ajoute de la vie à la vie, qu’elle permet de surpasser l’état actuel pour rendre l’avenir encore plus radieux et l’inscrire dans ce que la théologie chrétienne appelle la vie éternelle. Ici, nous voyons que la bénédiction porte la vie à son incandescence – le désir des collines éternelles selon l’expression biblique. Il ne s’agit pas de conformer la vie à une norme, à un état déterminé, mais de lui permettre de se réaliser dans l’étendue de ses possibles, selon le désir que Dieu suscite. Bénir n’est pas valider, mais ouvrir un avenir à celui à qui les paroles sont adressées.

En faisant de la bénédiction un acte d’Église alors qu’elle était initialement un geste familial, interpersonnel, nous avons perdu la spontanéité de la bénédiction. Celle-ci n’avait pas besoin de longues préparations dans les récits bibliques, et surgissait de manière aussi imprévue que Dieu dans l’histoire des personnages bibliques. Nous avons perdu aussi le caractère populaire d’une bénédiction qui n’était pas l’affaire d’une caste à part qui détiendrait le pouvoir des bonnes paroles. Dès le livre de la Genèse, il y a un sacerdoce universel à l’œuvre lorsqu’il s’agit de bénir. Il y a une prise de risque, une interprétation personnelle par laquelle celui qui bénit s’implique en offrant un capital de sens pour la suite.

 L’audace de bénir

Bénir n’est donc pas une affaire convenue. Une bénédiction ne va jamais de soi dans la mesure où elle n’entérine pas un état de fait, à la manière d’un diplôme qui, lui, sanctionne un état de connaissances. La bénédiction n’intervient pas à l’issue de la vérification d’une liste de points spécifiques qui donnerait droit à un certificat ; elle est une parole offerte pour intensifier ce qui est à vivre, pour ouvrir la conscience à l’étendue de ce qui est à venir. La bénédiction est donc toujours une parole qui se risque à envisager cet avenir, en discernant ce que Dieu construit chez celui qui va être béni, ce qu’il l’appelle à accomplir, ce qui est sa vocation.

Parce qu’il n’y a jamais rien d’automatique dans une bénédiction, même celle prononcée un peu mécaniquement à la fin d’un culte, il y a donc une prétention folle dans l’acte même de bénir : chaque bénédiction est une réinterprétation de notre vocation humaine. Si elle ne contient nullement notre avenir, la bénédiction est une stimulation qui peut nous porter plus loin que ce que nous aurions envisagé à titre personnel. La bénédiction, cette parole prononcée sur mon existence par un autre que moi, est susceptible de rehausser une exigence de vie, de ressusciter un désir qui ne sera plus dépendant de ma seule volonté.

Bénir ses ennemis, ses adversaires, c’est reconnaître qu’ils valent justement plus que ce qu’ils donnent à voir et qui provoque mon opposition. C’est repérer chez eux ce qui est aimé de Dieu et qui est appelé à prendre une part prépondérante. Au lieu de dénigrer ce que nous ne supportons pas, l’apôtre Paul nous conseille de le surmonter par le bien (Rm 12,21). Donner plus de place à ce qui est juste, à ce qui est beau, à ce qui est susceptible de rendre heureux, de participer à « l’enjoiement » du monde pour utiliser un néologisme issu de la théologie du Process.

Bénir ceux dont nous croisons la route, c’est leur donner un surplus d’enthousiasme ; non pas en raison d’un caractère surnaturel de la bénédiction qui posséderait une puissance intrinsèque, mais en raison de l’effet bénéfique que peut avoir une parole lorsqu’elle est porteuse de l’amour, l’agapè dont l’apôtre Paul a donné les caractéristiques en 1 Co 13. Lorsque des familles ou des individus viennent à la rencontre d’un pasteur, c’est cela qu’elles sont en droit d’espérer : une parole qui instille l’amour agapè dans leur histoire ; une parole qui élargisse leur horizon, qui approfondisse leur compréhension de leur vocation, qui les encourage à s’engager de tout leur être en faveur du Royaume de Dieu.

Une bénédiction n’est donc pas destinée à enfermer les personnes bénies dans un cadre ou dans un destin, mais à stimuler chez eux le goût de l’infini, la passion de l’Éternel. Aussi, concernant un couple, peu m’importe qu’il soit marié civilement ou non, que les sexes des partenaires soient inversement proportionnels ou non, qu’il soit adhérent à mon association cultuelle ou non. De même, je ne demande pas les diplômes, l’extrait de casier judiciaire, mais je m’intéresse à ce que chacun ressent intuitivement de l’Éternel et à ce qu’il entend faire de cela, pour formuler une bénédiction qui lui donne matière à espérer à la hauteur de Dieu. Bénissons librement en faisant l’éloge d’une vie portée à son incandescence.

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À propos James Woody

Pasteur de l'Église protestante unie de France à Montpellier et président d'Évangile et liberté, l'Association protestante libérale.

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