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Jean Chrysostome, la « bouche d’or » qui voulait supprimer les bijoux

École de Annibale Carracci, Saint Jean Chrysostome. Photo Diocèse de Bologne

École
de Annibale Carracci, Saint Jean Chrysostome. Photo Diocèse de Bologne

Notre homme est né en 349 à Antioche, capitale de la Syrie. Cette ville a été, après la mort de Jésus, un centre chrétien très important. On se rappelle qu’au premier siècle, les adeptes du Christ, chassés de Jérusalem, se réfugièrent à Antioche et on leur donna le nom de « chrétiens », partisans du Messie. Paul y passa plusieurs années avant ses voyages missionnaires et y reçut sa première formation au christianisme.

 L’école d’Antioche

Au IVe siècle, Antioche était une ville florissante, baignant dans la richesse et même le luxe, et attirant de ce fait les pauvres paysans des campagnes. Le fossé entre riches et pauvres a fait beaucoup souffrir Jean. Antioche était un centre intellectuel, avec une école de théologie renommée qui n’avait pour concurrente que celle d’Alexandrie, avec laquelle, naturellement, elle se disputait. Le principal débat portait sur la méthode d’interprétation des textes bibliques. À Alexandrie, à la suite de Clément et d’Origène, on pratiquait l’allégorie qui consistait à utiliser des analogies pour éloigner le texte de sa dureté sociale et entraîner le lecteur vers une interprétation spirituelle, revenant finalement à faire miroiter le paradis à ceux qui voulaient bien se convertir. Antioche, au contraire, voulait rester dans le sens littéral et considérait l’enseignement de Jésus comme une invitation à réaliser sur terre une vie plus solidaire. Notons que ces différences existent encore aujourd’hui et que les libéraux se sentent plus proches de l’école d’Antioche.

Jean naquit dans une famille de haute condition et reçut une belle éducation chrétienne. Ayant bien lu la Bible, il n’était pas satisfait de vivre parmi ces chrétiens aisés qui, en plus, se disputaient entre eux : à certains moments, trois évêques prétendaient être à la tête des chrétiens de la ville.

 Prédicateur pour le peuple

Il choisit donc de vivre hors du monde, comme un ermite. Il en profita pour mieux étudier la Bible. Au bout de deux années il se rendit compte que dans son désert il n’était utile à personne et découvrit que « la vraie perfection est dans le service d’autrui ». Revenant à Antioche, il fut vite nommé lecteur, c’est-à-dire chargé de seconder les prêtres, essentiellement pour la prédication, domaine dans lequel il excellait et se fit rapidement une grande renommée. Il était compréhensible aussi bien par les esclaves ou les ouvriers que par les bourgeois ou les aristocrates. Mais sa lecture littérale de la Bible orientait ses prédications vers un christianisme éthique, vers une révolution sociale assez utopique. Il supportait difficilement les différences considérables de niveau de vie entre les diverses couches de la société et aurait voulu que tout le monde vive aussi pauvrement que les moines. Aussi critiquait-il facilement la magnificence des riches et l’opulence de l’Église. Pour lui, la richesse était une forme d’injustice, liée à la structure de la société ; il prêchait pour une cité idéale, comme celle supposée de la première Église, dans laquelle il n’y aurait plus d’esclaves ni de pauvres. En chaire, il invitait les riches à affranchir leurs esclaves.

Ses prédications étaient prises en notes par des sténographes, de sorte que nous avons encore de lui 600 sermons. Voici ce qu’il disait : « Si vous vous lassez de prier parce que vous ne recevez rien en retour, rappelez-vous le nombre de fois où vous avez entendu les pauvres vous appeler, sans que vous ayez répondu. » Ou encore : « Dieu n’est pas glorifié par les dogmes, mais par la vie vertueuse. » En effet, il ne s’intéressait pas tellement aux dogmes et par exemple ne suivait pas trop cette envahissante querelle de son époque concernant la trinité. Il pensait que le peuple ne pouvait rien comprendre à cette question beaucoup trop « byzantine ».

Il était donc très populaire parmi les petites classes qui se bousculaient pour venir l’écouter. Certains venaient à l’église dès la veille pour être certains d’avoir une place. L’aristocratie était moins à l’aise, d’autant qu’il était volontairement corrosif pour marquer les esprits. On l’appelait « chrysos stoma » qui en grec veut dire « bouche d’or ». Son église se vidait progressivement des riches qui supportaient difficilement son message.

Sur la liturgie Chrysostome, dans son souci de présenter au peuple une image positive du christianisme, s’attacha aussi à construire un service divin qui soit beau, édifiant et instructif pour la foi des fidèles. L’office durait trois heures. On lisait des textes du Premier Testament et des lettres de Paul, entrecoupées de chants de psaumes, sans instrument de musique. Puis tout le monde se levait pour écouter l’évangile du jour, le plus souvent chanté par l’évêque en personne. On se rasseyait pour la prédication qui durait facilement une heure ou plus. Venait une grande prière pour le monde, tous les participants levant leurs mains en direction de Jérusalem, et enfin l’eucharistie qui se prenait encore sous les deux espèces, le pain et le vin. Nos services, protestants, catholiques ou orthodoxes, ont hérité de cette ossature. Jean Chrysostome a contribué à structurer la liturgie et à l’embellir. Mais il n’est pas l’auteur de celle qui porte son nom, laquelle est plus tardive.

 Un kidnapping

Sa réputation a vite dépassé les frontières de la ville d’Antioche, au point qu’il lui arriva une histoire peu ordinaire. En octobre 397, il avait donc 48 ans, il reçut, de la part du gouverneur de la ville, une invitation à se rendre de toute urgence à la Chapelle des martyrs. Il y alla calmement, mais fut aussitôt embarqué dans une voiture qui commença un long voyage. Demandant où on l’emmenait, il comprit qu’il allait à Constantinople rencontrer l’empereur. Quarante jours de voyage. Il pensait bien passer là-bas en jugement et être jeté en prison à cause de ses prédications trop provocantes. Pas du tout, l’empereur lui apprit qu’il était nommé évêque de Constantinople !

Cette ville était la capitale de l’empire. Son patriarcat était le deuxième dans l’ordre honorifique après Rome. L’évêque était donc revêtu d’un grand prestige et d’une grande autorité pour lesquels Jean Chrysostome n’était pas du tout préparé. Il n’était pas fait pour ce poste suprême. Constantin avait fait de l’ancienne Byzance une ville encore plus florissante qu’Antioche et la haute société était provocante par l’étalage de sa richesse. Mais le nouvel évêque ne modifiait pas son discours et défendait toujours son utopie sociale. Il accusait le trop grand luxe de la cour et de la classe possédante. Il expliquait que si les riches voulaient bien donner leur fortune aux pauvres « la terre serait transportée au ciel ». Il parlait toujours avec un certain manque de tact et eut donc assez vite des ennuis avec les puissants de l’empire. Les bijoux et parures des femmes venant assister à la messe l’agaçaient particulièrement ; c’était pour lui une insulte à la misère du peuple. Or la femme de l’empereur était très coquette et avait de l’influence sur son mari.

Jean diminua drastiquement les dépenses du palais épiscopal, voulut contrôler les finances de l’Église et la conduite du clergé qui laissait à désirer sur le plan des mœurs et d’un laisser aller général. Avec l’argent récupéré, il fit construire des hôpitaux et des maisons pour personnes démunies. Il s’attira évidemment beaucoup d’ennuis à la cour. De surcroît l’Église d’Alexandrie était très mécontente qu’un Antiochien ait été nommé au patriarcat suprême et elle intriguait pour sa destitution. Ce qui se produisit en 404, sept années après son arrivée dans la capitale. Il fut envoyé en exil en Arménie puis à l’extrémité orientale de la Mer Noire qu’il ne put jamais atteindre car il mourut d’épuisement en 407 sur le chemin qu’on l’obligeait à suivre à pied.

Une fois mort, notre prédicateur n’était plus très dangereux. Son corps fut ramené triomphalement à Constantinople. Il fut peu après réhabilité et placé aux premiers rangs des Pères de l’Église.

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À propos Henri Persoz

est un ingénieur à la retraite. À la fin de sa carrière il a refait des études complètes de théologie, ce qui lui permet de défendre, encore mieux qu’avant, une compréhension très libérale du christianisme.

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