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L’offrande d’Abel et de Caïn

283_Web-16Les portails romans (XIe siècle) de l’église de Saint-Gilles du Gard sont inscrits depuis 1998 sur la liste de l’UNESCO du patrimoine mondial, comme l’une des étapes sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle.

Que serait-ce s’ils ne l’étaient pas ! Car pour qui se donne la peine de les chercher dans le dédale des rues étroites et pentues de la vieille ville, le choc est rude de les trouver en si pitoyable état, sales, noircis, abîmés, avec des attelles dérisoires autour de quelques-unes de leurs colonnes. Les ruines de l’église qu’ils cachent ajoutent encore à la mélancolie du site. Les ravages que les huguenots ont fait subir, au XVIe siècle, aux visages des saints sont loin d’être les seules causes de leur dégradation, même s’ils avaient commencé avec un zèle absurde !

Et pourtant, même abandonnés à la solitude d’un soir de printemps sous les cris des hirondelles, ces portails ne peuvent faire taire la beauté des scènes bibliques qui se déploient en long phylactère au-dessus de leurs trois arcatures.

Parmi elles, l’offrande à Dieu d’un agneau de son troupeau par Abel, et celle d’une gerbe de ses récoltes par Caïn : d’un même élan – mais inversé – avec une même ardeur que scandent vêtements et linges, les deux frères lèvent les bras vers le Seigneur et lui présentent l’objet de leur cadeau, un agneau dont les petits trous du trépan ont suggéré la laine frisée, et une belle gerbe d’épis dressés, riches en grains serrés.

Au coin des arcades qui isolent chaque frère, à gauche un ange accompagne Abel, main et aile protectrice étendues, à droite un diable grimaçant aux os pointus et agressifs surveille Caïn.

Au milieu, sortant de la nuée, la grande main de Dieu est résolument tournée du côté d’Abel, et touche presque le museau de l’agneau. Aucun doute n’est possible sur cette préférence.

Les visages bûchés n’expriment plus rien, mais il y a un tel enthousiasme dans les jambes ployées des donateurs, dans les plis aériens de leurs vêtements, que l’on partage leur envie de donner, d’entrer en contact avec Dieu, de parler à Dieu avec leurs gestes, nos gestes.

Alors, plus terrifiante que l’ange favorable ou le diablotin moqueur, paraît cette main de Dieu qui exprime si clairement son choix : injuste ? injustifié ? …

On a beau relire le chapitre 4 du texte de la Genèse, on a beau admirer la sculpture des portails romans, peu de choses sont aussi déroutantes que cette « injustice » d’un Dieu qui se présente comme la Justice même.

À revoir cette courte tragédie prendre corps sous mes yeux, je pensais chacun de nous en un Abel et un Caïn solidaires et jumeaux, invité à surmonter les choix incompréhensibles de Dieu pour nous, pour « reprendre le dessus », comme il est écrit dans la Bible (en français courant). Tout un programme de comportement, et de prière, pour que la grande main de Dieu, comme le fléau d’une balance, ne se dirige pas toujours dans la même direction pour indiquer une volonté péremptoire impossible à comprendre.

Sur les portails mutilés de l’église de Saint-Gilles du Gard, il y a aussi plus loin, heureusement, Jésus sur un ânon, entrant à Jérusalem et appelant Zachée qui dégringole de son arbre avant de le recevoir dans sa maison…

Quel mystère, pour moi, que ce « Royaume de Dieu » !

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À propos Cécile Souchon

ancien conservateur du Patrimoine, a travaillé aux Archives départementales du Maine et Loire et de l’Aisne, puis aux Archives nationales à Paris. Elle a été membre du Conseil National de l’Église réformée de France, de 1986 à 2001.

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