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Vivre par-delà la mort,

L’idée de résurrection est-elle simplement un antidote à la mort ? Ou n’est-elle pas plutôt une façon de vivre pleinement, par l’amour, dès le présent ?

   Sous la distraction ordinaire, la vie et la mort forment la trame journalière et l’ultime enjeu de toute existence. La vie et la mort des autres, notre propre vie et notre propre mort. Sur une terre à la fois radieuse et jonchée d’ossements, les mêmes attentes, les mêmes jubilations et les mêmes souffrances se succèdent depuis les premiers matins de l’humanité. Joyeuse, la vie fraye son chemin au milieu des tristesses et des morts que charrient les espérances déçues, les trahisons commises ou subies, le vieillissement et la fin inéluctable de toutes choses. Le monde renaît chaque jour et tout paraît s’y engloutir pareillement, bonheurs et détresses.

   Aurores et ténèbres, terre féconde et poussière de nos tombes, qu’est-ce qui vous unit ? La vie et la mort sont-elles des compagnes amies de l’homme ou des rivales qui se disputent son sort ? D’instinct repoussée, la mort peut-elle livrer passage vers la plénitude à laquelle tout être aspire, ou l’aube pascale n’a-t-elle été qu’une illusion ? Du fond du vécu surgit une incroyable et ferme conviction : l’amour qui est au coeur de la vie franchit et rachète toutes les morts. Pâques luit sur nos calvaires et l’homme peut croire à la résurrection. Une foi qui arrache l’être humain à sa finitude solitaire, le réconcilie avec l’univers, et tranche l’angoisse originelle issue de ses contradictions. L’homme et l’humanité entière ont, corps et âme, vocation à engendrer dès à présent leur éternité. 

   Mais de quoi s’agit-il au juste ? Si les questions relatives à la résurrection ne visent qu’à expliquer ce qui est concrètement arrivé au corps de Jésus après sa mort, ou ce qui attend le nôtre et son environnement matériel au terme de notre existence terrestre, elles s’avèrent vaines. Tout ce qui peut être dit à ce sujet découle de croyances qu’aucune science profane ou théologique ne saurait assurer, et personne ne peut prédire ce qui adviendra de nos dépouilles. Les efforts millénaires déployés par les hommes pour imaginer leur survie leur permettent seulement d’entrevoir, à travers la relativité de leurs cultures particulières, l’immensité au sein de laquelle ils vivent et son mystère. Aller plus loin demande de se fier à la Parole issue de là. Obscure et précieuse clarté des religions.

   Pour s’interroger sur la résurrection, et notamment sur celle dite des corps, c’est peut-être l’amour humain qui fournit au premier abord les vues les plus éclairantes. Le corps y tient une place première, mais cette expérience relève d’infiniment plus et implique infiniment plus. Le corps aimé est tout entier habité par la personne aimée : il rend présent ce qu’elle est au plus intime de son être, là où s’abrite ce qui la dépasse et la construit. L’amour est à la fois l’union de ceux qui s’aiment, la vision de ce qu’ils sont au-delà d’euxmêmes, chacun et ensemble, et l’étonnante capacité d’enfanter. Accueil réciproque et insatiable attente, éblouissante connaissance et suprême renoncement, don venu d’ailleurs et survie gracieuse. N’est-ce pas sur cet horizon que se profile la résurrection, comme une transfiguration personnelle et commune par l’amour ?

   Ce qui m’importe d’abord dans la situation présente, ce n’est pas l’idée d’un autre monde, différent et meilleur, qui me sera peut-être accordé à la sortie du monde actuel. Mais c’est ce monde actuel dans toutes ses dimensions, c’est la réalité quotidienne avec son audelà immédiat qui me donne déjà de vivre dans l’infini et l’éternel, qui place mon existence et le devenir de la création sous le signe de l’immortalité. Dans cette perspective, la résurrection n’est pas une utopie lointaine pour d’hypothétiques lendemains, mais l’accès à une part de ciel dès aujourd’hui. Chaque fois que la tendresse et le soin l’emportent sur le rejet ou l’indifférence, le don sur l’accaparement, la vérité sur le mensonge, c’est la vie qui triomphe du mépris, de la division et de la mort, qui anticipe la résurrection. Dépassant le corps comme objet en sursis ou futur cadavre, l’homme s’accomplit dans ce mystère avec l’ensemble de ses désirs et de son vécu. Mise au monde d’un homme nouveau et d’une humanité nouvelle, avènement du paradis attendu.

   De fait, l’amour qui réjouit, qui pardonne et partage, qui lutte pour la justice et la paix, réalise sans cesse l’impossible miracle de la résurrection. Le seul vrai et grand miracle en ce monde, matrice de tous les autres, manifestation d’une transcendance que les croyants appellent Dieu – mais que d’autres peuvent percevoir et appeler autrement. Dans la lumière d’une Pâque éternelle, ce miracle est la traversée du mal et de la mort : victoire sur la destruction qui alimente le cycle infernal de la destruction, victoire sur le refus d’aimer qui s’identifie à la damnation, profusion de vie qui se distribue sans condition et sans réserve. Un miracle qui est en même temps rédemption et jugement, et dès maintenant Jugement dernier. Loin de toute confusion et de tout laxisme, il sépare de façon radicale et définitive la bonté de la méchanceté, la parole véridique de la tromperie.

   Nul ne se ressuscite lui-même ou ne ressuscitera seul au dernier jour. Œuvre permanente de la Parole créatrice qui prodigue la vie, recréation de l’homme et du monde, elle ne peut advenir que dans la relation et renouvelle toutes les relations, sur la terre et jusque dans les cieux. De génération en génération, elle régénère l’humanité et la sauve de l’inhumanité toujours menaçante. La vie et l’amour se perpétuent par elle, et toute résurrection est le fruit d’une multitude de résurrections passées et le gage de multiples résurrections à venir. Les chrétiens parlent à ce propos, en une langue qui n’est plus guère comprise, d’une communion des saints et d’un corps du Christ qui englobent la totalité de l’humanité et de la création.

   Mais pour se libérer de l’emprise de la mort et accompagner autrui vers sa résurrection, il faut croire en l’homme. Croire que chaque être humain, fût-il le plus indigne, est plus que lui-même, que son ultime vérité le dépasse, et qu’il peut être sauvé de son mal et de son malheur quels qu’ils soient. Espérer et s’engager en conséquence quoi qu’il en coûte, même quand tout paraît perdu : ne condamner personne, faire confiance à la vie et la défendre sans concession, essayer de porter sur l’autre un regard empreint du regard de Dieu. Se tenir du côté de l’amour qui, produisant inlassablement le miracle de la résurrection, tisse l’éternité. Telle est l’unique voie qui mène vers Dieu. Mais servir jour après jour une telle foi est plus ardu qu’adhérer à des doctrines abstraites relatives à la divinité, ou commémorer des prodiges passés pour faire miroiter un avenir céleste.

   Si, sans sacrifier à l’exaltation de la douleur, l’iconographie chrétienne a très tôt représenté Jésus- Christ ressuscité avec les blessures de sa passion, c’est parce qu’elles témoignent de sa vie d’homme et du chemin qu’il a suivi jusqu’au supplice, indissociablement dans sa chair et dans son âme, par fidélité à l’amour. De même, notre histoire personnelle dit et dira pour toujours notre vérité éternelle. L’amour étant impérissable, la survie après la mort s’offre comme une promesse, mais ses modalités n’ont pas à nous préoccuper. C’est tout au long de l’existence qu’il est donné à chacun de ressusciter pour vivre à présent et à jamais la part divine qui est en lui, et pour aider autrui à ressusciter de même. Il y a deux mille ans, en invitant les premiers chrétiens à s’unir au Christ mort et ressuscité, l’apôtre Paul n’appelait-il pas déjà à vivre par-delà la mort ?

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À propos Jean-Marie Kohler

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