En juin 2007, le pasteur suisse Guy Dottrens, proposait à Lausanne un culte avec des animaux. Cette expérience a conduit le synode de l’Église Évangélique Réformée du canton de Vaud à discuter de cette question, et finalement à accepter le principe de ces cultes, dans certaines conditions.
Les animaux ont-ils leur place au culte ? Telle est la question « sensible » qui fut soumise au synode de l’Église Évangélique Réformée du canton de Vaud (EERV) le 7 novembre 2009. Il est bon que le législatif de l’Église vaudoise ait ainsi pu statuer sur une expérience vécue le 30 juin 2007 à l’église de Montriond à Lausanne. Cette célébration a réuni environ 140 personnes et une quarantaine d’animaux. Elle cristallisa l’attention des médias et suscita quelques remous au sein des paroisses.
La réponse du synode est positive : oui, des animaux pourront être accueillis de manière exceptionnelle lors d’une célébration liturgique. Pour autant le synode insiste sur la préparation de l’événement, la qualité de l’information dispensée à cette occasion et la priorité à donner à l’accompagnement des propriétaires d’animaux plus qu’aux animaux eux-mêmes. D’autre part il exclut la bénédiction des animaux.
Ce thème est né du projet développé dans le cadre de « Spiritualité dans la cité » au printemps 2007. Une série de quatre rencontres fut mise en place et s’intitulait : « Les animaux et nous, pour vivre quoi ? ». Plusieurs objectifs ont été définis : – Rejoindre les nombreuses personnes qui vivent une relation importante avec un animal de compagnie et prendre en compte cette dimension de leur existence, souvent intense au niveau personnel, et ignorée en Église. – Apporter une contribution éthique et théologique à la réflexion qui fait souvent l’actualité sur la place des animaux dans notre société.
– Re-découvrir la foule d’animaux qui peuplent la Bible, la place qui leur est conférée dans la création, leur statut particulier par rapport à l’homme et leur présence si forte dans l’expression de la foi biblique, du serpent de la Genèse à la colombe de l’Esprit en passant – notamment – par le Christ Agneau de Dieu.
– Offrir à celles et ceux qui le souhaitaient la possibilité de vivre une célébration en présence de leur animal, manifestant ainsi « charnellement » que devant Dieu l’humanité n’est pas déconnectée de son environnement.
Je suis persuadé qu’un des chemins qui s’ouvre à l’Église est de sortir de ses murs pour aller à la rencontre des gens là où ils vivent, les rejoindre dans ce qu’ils vivent, partager avec eux la dimension existentielle et spirituelle de ce qu’ils vivent, éclairer ce vécu à la lumière de l’Évangile, plutôt que de les convier à rejoindre le bercail. Ce mouvement – qui est constitutif du service « Spiritualité dans la cité » – exige à la fois un décentrement (les gens ne sont pas simplement des paroissiens potentiels, mais des personnes aux prises avec les ombres et les clartés de leur humanité), de l’attention (que vivent les gens rencontrés ?) et de l’imagination (comment inventer un langage ajusté à ceux qui ne parlent pas le patois de Canaan ?).
La place des animaux dans notre société relève d’un enjeu existentiel, tant pour les nombreux propriétaires d’animaux de compagnie que pour l’ensemble de la population, dans le cadre de la sauvegarde de la création. Le Conseil oecuménique des Églises a interpellé les délégués à la récente conférence sur l’environnement de Copenhague. Dans de nombreux pays et chez nous aussi, le dimanche 15 décembre 2009, les cloches ont sonné l’alarme climatique, l’urgence de changer nos modes de pensée et de comportement au coeur de la création. Mais nous restons attentistes, peu concernés et démunis pour inclure cette préoccupation dans nos réflexions et choix d’Église. La communauté de travail « Oeku, Église et environnement » vient de publier un passionnant dossier qui pourrait nous encourager à ouvrir notre vie d’Église à ces réalités. (Dossier : Un temps pour la création. Cahier : Comme nous ils furent créés.)
Dans ce sens-là, la présence d’animaux dans un temple ne relève ni de l’anecdote, ni d’un opportunisme malvenu. La Bible nous rappelle que l’être humain n’est pas seul au monde : comme la nature et les êtres vivants, il fait partie de la création voulue par Dieu et il est appelé à vivre, « à l’image de Dieu », une relation avec la création tout entière. Les animaux sont en particulier inclus de manière forte et définitive dans l’alliance que Dieu passe avec « tous les êtres vivants » après le déluge (voir Gn 9,12-16). Nous faisons tous partie du projet de Dieu et c’est cela que manifeste concrètement le fait de se tenir ensemble devant lui dans un temple.
Pour autant la place des uns et des autres n’est pas interchangeable. Nous sommes ensemble dans la création et dans le coeur de Dieu. Ensemble oui, mais aussi chacun à sa place. Ensemble, et cette communauté de destinée devrait nous amener à réaffirmer clairement en Église notre responsabilité humaine à l’égard des animaux, notamment en matière d’extermination des espèces et de maltraitance, qu’elle soit industrielle ou domestique. Et chacun à sa place : car entre l’homme et l’animal, il n’y a pas photo ! « Ne valez-vous pas beaucoup plus que les oiseaux », dit Jésus à ses amis. Manière de rappeler qu’il y a une différence fondamentale entre les animaux et nous. On dit parfois d’un animal qu’il ne lui manque que la parole pour être humain. N’en déplaise à certains amis des animaux, nous savons bien qu’il leur manque beaucoup plus que la parole, ne serait-ce que la capacité de réfléchir, de prendre du recul, de faire des projets, de rire, ou encore la liberté de faire des choix entre plusieurs comportements ou décisions possibles. Aimer les animaux, c’est toujours se souvenir qu’ils sont des animaux et ne pas trop vite projeter sur eux nos pensées et nos sentiments. L’adulation, l’humanisation de l’animal autant que son usage comme une marchandise ou comme un jouet jetable sur une aire d’autoroute révèlent notre difficulté à vivre soit le « ensemble », soit le « chacun à sa place ». C’est ainsi, par exemple, que les animaux ne seront pas invités à participer régulièrement au culte ordinaire, comme si le culte leur était naturellement destiné.
Doit-on cependant les exclure de la bénédiction divine ? Trop tard ! Dieu s’est déjà chargé de les bénir ! Pour ce qui est d’appeler sur eux la bénédiction lors d’un culte, le synode l’a écarté. Je ne l’ai moi-même pas pratiqué de manière individuelle lors de la célébration de Montriond. Certains propriétaires d’animaux m’ont clairement déclaré qu’ils ne venaient pas au culte pour eux-mêmes mais uniquement pour leur animal. Leur attente à l’égard d’une bénédiction s’approche parfois plus d’un acte magique de protection que d’une ouverture à l’amour de Dieu. La bénédiction individuelle des personnes n’est en général pas pratiquée lors d’un culte. Pourquoi serait-elle accordée à l’animal ? Par contre je pense qu’il peut être bon de nous rappeler à nous humains que les animaux sont au bénéfice de la bénédiction de Dieu. Il est vrai que le protestantisme a mis en évidence – et avec raison – que la foi individuelle se construit à travers une relation personnelle à Dieu. Elle se nourrit du don premier, libre et gratuit, de l’amour de Dieu, et de la libre réponse humaine à accueillir ce don, à en vivre et à le partager. En ce sens la bénédiction donne et engage, elle dit une parole bienfaisante qui attend une réponse. Réponse que l’animal ne peut bien sûr pas donner. Mais est-ce bien là la seule dimension de la bénédiction ? Sommes-nous à même de décider à la place de Dieu de l’usage de sa bénédiction ? Sommes-nous sûrs que les Églises soeurs qui pratiquent une bénédiction élargie sont dans l’erreur ?
La question est ouverte, elle est intéressante mais pas décisive à mes yeux. La responsabilité que Dieu nous confie nous appelle à relever d’autres défis, si nous voulons éviter que la dégradation de notre environnement rende simplement caduque la question de la place respective de l’homme et de l’animal dans la création…
Voir aussi “Vivre”, en page 8.
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