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Jean-Jacques Gautier, un exemple d’engagement pour un monde sans torture

Voici le récit d’un engagement important par son ambition et par sa modestie. S’attaquer à l’usage de la torture est extraordinairement ambitieux. Mais Gautier choisit de s’attaquer à une violation spécifique des droits de l’homme et cherche les moyens de contourner la souveraineté des États, obstacle principal, plutôt que de l’attaquer de front.

Arrivé à l’âge de 62 ans, Jean-Jacques Gautier, banquier genevois riche et respecté, décide en 1974 de prendre une retraite anticipée pour se consacrer à la lutte contre la torture. Il avait passé plusieurs années à gérer les fortunes des plus riches de la planète, et voulait consacrer les dernières années de sa vie à ceux qui souffrent le plus : pour lui, c’étaient les torturés. Il avait cru, après la Deuxième Guerre mondiale, que la torture allait être reléguée aux mauvais souvenirs de l’histoire mais il a découvert qu’elle était utilisée par les vainqueurs de l’Allemagne nazie, non seulement dans les goulags staliniens mais aussi par les Français en Algérie et les Américains au Vietnam. C’était aussi l’époque des dictatures du Chili, de l’Uruguay et de l’Argentine. En même temps se développaient Amnesty international, l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture), etc.

  Pour Gautier, la torture est la négation absolue de la créature de Dieu, car elle vise non seulement à éliminer l’adversaire mais à le dévaloriser, à l’humilier, à l’obliger à se renier lui-même. Il s’est alors demandé : que puisje faire, en tant que juriste, pour aider à l’abolition de la torture ? Il s’est inspiré des visites du CICR (Comité International de la Croix-Rouge) dans les camps de prisonniers, qui, pendant la Deuxième Guerre mondiale, avaient réussi à prévenir la torture quand ces visites étaient autorisées (même des Juifs dans les camps visités par le CICR avaient pu être protégés). Le problème était d’obtenir l’autorisation des gouvernements de visiter tous les lieux de détention. Comme il n’était pas possible de confier cette tâche au CICR, il a conçu l’idée d’un système de visites de prisons et de tous lieux de détention. Ne voulant pas céder à l’utopie des systèmes universels, il préconisa un système de visites qui serait accepté progressivement, d’abord par quelques États, qui sans doute ne seraient pas les plus tortionnaires, mais petit à petit ce système pourrait s’étendre à la planète entière. Là encore son modèle était la Croix Rouge, dont la première convention (Convention de Genève de 1864) fut ratifiée seulement par 11 États alors que les conventions de Genève de 1947 sont aujourd’hui ratifiées universellement .

  Inutile de dire que la proposition Gautier, lancée en 1976, rencontra beaucoup de scepticisme. Il créa alors un comité (dont je fus le secrétaire), qui – avec l’aide de quelques États, et après des années de discussions, contacts diplomatiques, colloques, etc. – travailla à l’adoption de deux conventions : d’abord la Convention européenne pour la prévention de la torture, adoptée par le Conseil de l’Europe en 1987, soit une année après la mort de Gautier, puis un Protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture, adoptée par l’Assemblée générale en 2002. Les deux conventions prévoient des systèmes de visites de lieuxde détention afin de faire des recommandations en vue de la prévention de la torture et des traitements inhumains et dégradants. La Convention européenne est aujourd’hui ratifiée par tous les États du Conseil de l’Europe (y compris par la Russie, la Turquie, l’Azerbaïdjan, etc.) et le Protocole facultatif (dit OPCAT) est ratifié aujourd’hui par 54 pays (malheureusement ni par les États-Unis, Israël, la Chine, l’Inde et la Russie).

  Certes les conventions proposées par Gautier n’ont pas réussi à éradiquer la torture. Tant s’en faut. L’exemple de Guantanamo montre leurs limites. En outre la torture est pratiquée aujourd’hui par de nombreuses organisations non-étatiques : guérillas, terroristes, mafias, etc. Mais ces conventions ont eu une influence immense sur de nombreux États, notamment par les rapports de visites du Comité européen pour la prévention de la torture et du Sous-Comité contre la torture (Nations Unies). Ainsi la Turquie, pour appuyer sa candidature à l’Union européenne, a été obligée de prendre des mesures pour réprimer des pratiques courantes. Parallèlement les Nations Unies mettaient en place un système de rapporteurs spéciaux, qui à défaut de pouvoir imposer des mesures aux États souverains, peuvent faire connaître leurs pratiques et leur faire des propositions.

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À propos François de Vargas

ami de Laurent Gagnebin, a fait des études de théologie à Lausanne. Il a travaillé dans diverses ONG (la Cimade, la Déclaration de Berne, Amnesty international, Appartenances). Il a publié Chrétien quand même ? en 2013.

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