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Doxologie

La fin du Notre Père (la doxologie) ne figure pas dans tous les manuscrits bibliques et provient probablement d’un ajout ultérieur. Louis Pernot, qui avait écrit un « Cahier » sur le Notre Père (n° 187, mars 2005), réhabilite ici la doxologie traditionnelle.

La conclusion du Notre Père est appelée « doxologie » car elle consiste à rendre gloire (doxa en grec) à Dieu. Elle pose un gros problème d’authenticité et l’on pense qu’elle est un ajout postérieur au reste. Il est vrai qu’elle est dans un style différent, utilisant des mots plutôt redondants alors qu’avant, tout n’est que précision et concision. Il est curieux également, que l’on dise qu’à Dieu appartient le règne (ou la royauté), alors que c’est précisément l’objet de la première demande : « Que ton règne vienne ». Il est vrai aussi que les manuscrits les plus anciens et les plus fiables n’ont pas cette doxologie, et que dans les autres, elle comporte de nombreuses variantes.

  Il est alors assez paradoxal que les protestants aient l’habitude de prononcer cette doxologie qui est un ajout de la tradition, alors que les catholiques, qui croient eux dans la valeur de la tradition de l’Église, ne la retiennent pas, pour s’en tenir au texte biblique.

  Mais des recherches récentes ont démontré que la question est plus compliquée que cela. On sait en particulier, grâce aux découvertes de Qumran, que l’usage juif, à l’époque de Jésus, était de toujours terminer une prière par une doxologie plus ou moins semblable à celle que nous connaissons dans le Notre Père. Cette doxologie n’était pas nécessairement écrite, mais quiconque prononçait une prière devait conclure par une formule de louange.

  De toute façon, il serait impensable de terminer cette prière sur la mention du Malin, c’est-à-dire du Diable. La tradition juive dit que l’on doit toujours terminer une lecture par un « Dabar Tov », c’est-à-dire une bonne parole ; on ne peut laisser le dernier mot au mal en s’arrêtant tout court après la septième demande. Il est fondamental que la prière de notre Seigneur, comme toute prière, se termine par une mention positive, de Dieu, de sa grandeur, de sa puissance.

  Et puis, si l’on voulait garder le Notre Père tout nu sans aucune finale, il lui manquerait certainement quelque chose : la louange. La prière, en effet, ce n’est pas seulement demander à Dieu, ni même se soumettre à lui ; la prière, c’est aussi l’action de grâce, la louange, c’est lui dire notre foi et notre joie de l’avoir pour notre Dieu. Il serait bien dommage qu’il manque cela dans l’exemple-même de la prière qui fonde notre pratique.

  Peut-être en plus est-il bon en soi que cette louange finale ne soit pas écrite : ce n’est pas le Seigneur qui nous l’impose, mais c’est le cri du coeur, c’est l’expression de la foi de celui qui prie. C’est dans cette doxologie que nous disons à Dieu notre confiance, notre foi, notre amour pour lui, et c’est au nom de cela que nous pouvons lui adresser notre prière. La louange ne peut être imposée. Pour les demandes, c’est vrai qu’il faut faire attention, nous ne pouvons demander n’importe quoi à Dieu. Alors dans les demandes, faisons comme le Christ le dit, mais ensuite, louons Dieu, rendons lui gloire, et ça, faisons-le à notre manière, comme nous le voulons, comme nous le sentons, avec authenticité, c’est ça qui est important. La conclusion de la prière ne devrait pas être une doxologie écrite et imposée, mais un cri du coeur.

  Cela dit, la doxologie qui nous est parvenue, si on la regarde de près, est pleine de qualités et l’on peut s’en contenter sans qu’il soit besoin d’ajouter autre chose entre la prière elle-même et sa conclusion, comme il est fait parfois : le Notre Père est volontairement dépouillé et succinct, sans doute est-il bon que sa conclusion garde ce ton.

  On peut remarquer par ailleurs que la doxologie habituelle est plutôt classique. On retrouve à peu près tous ses termes dans des textes doxologiques de l’Ancien Testament, comme en 1 Ch 29,11 ; ou bien même dans le Nouveau Testament, comme en 1 Tm 6,15.

  Mais il est vrai que l’on pourrait critiquer la doxologie habituelle pour son contenu, parce qu’elle ne dit pas l’essentiel de notre foi. On pourrait préférer, par exemple « car c’est à toi qu’appartiennent l’amour, la grâce et la joie… », cela serait plus dans le sens de la   théologie du Nouveau Testament et de la bonne nouvelle de Jésus-Christ.

  Mais finalement, je crois qu’il est bon que la doxologie que nous utilisons soit celle que la tradition nous a offerte, non pas seulement parce que c’est celle de la tradition, mais parce que, passé le sentiment de rejet qu’elle peut provoquer à la première lecture, quand on l’étudie en détail, on peut découvrir qu’elle est pleine de sagesse et de sens.

  D’une manière générale, le fait de rendre gloire à Dieu est bien la condition générale, non seulement de l’exaucement de la prière du Notre Père, mais aussi la condition de toute vie chrétienne. Dire qu’à Dieu appartiennent la royauté, la puissance et la gloire, c’est sortir de son propre égoïsme et de sa préoccupation de soi-même. Et le mouvement de l’âme dans la doxologie participe de cela : se départir de son propre égocentrisme pour se recentrer sur Dieu qui est la seule base de toute foi, de toute confiance, de toute vie et de tout objectif.

  On peut encore préciser cela, car dire à Dieu qu’à lui appartient la royauté, c’est justement, et là le plus précisément, échapper au péché originel, c’est ne pas vouloir obéir à son bon plaisir, mais prendre un idéal supérieur comme but, plutôt que sa satisfaction personnelle de l’instant. Cela est essentiel, et c’est cette foi qui donne un sens, une armature à notre vie. Notre vie n’est pas une pauvre chose retournée sur elle-même cherchant à se servir elle-même, mais une réalité reconnaissant une dimension supérieure, tendue vers un idéal et mue par une vocation.

  Dire qu’à Dieu appartient la puissance, c’est reconnaître que nos forces sont limitées, que nous avons besoin de Dieu, que nous ne sommes pas autosuffisants. C’est ce que tout chrétien dit à Dieu régulièrement dans la confession du péché, prière qui a fait partie de toutes les liturgies chrétiennes depuis toujours.

  Dire ensuite à Dieu qu’à lui appartient la gloire, c’est dire que nous voulons que ce soit lui qui soit le centre absolu de notre vie. La « gloire » en effet, signifie le « poids » en hébreu. La question est donc de savoir ce qui a réellement du poids dans notre existence, ce qui est la vraie valeur, ce qui est la réelle consistance de notre vie. Pour être dans un rapport juste au monde, à Dieu et à moi-même, je dois reconnaître que moi, je ne suis qu’une ombre qui passe, qu’une chose provisoire et légère comme une balle de paille portée par le vent. Mais en Dieu, j’ai un lest, un poids, un ancrage, un rocher qui me donne un enracinement indéfectible. Et c’est en Dieu seul que j’ai cela, pas en moi-même. C’est sur ce point qu’insiste encore la doxologie en disant que tout cela est « pour les siècles des siècles », c’est-à-dire pour l’Éternité. Oui, l’Éternité n’appartient qu’à Dieu, et je ne participe à l’éternité, moi qui par ma nature matérielle suis fondamentalement passager, qu’en tant que ma vie est accrochée, attachée, à l’Éternel en soi qui est Dieu.

  En y réfléchissant bien d’ailleurs, ces trois termes sont assez bien choisis, ils disent tous trois un peu la même chose, mais avec des nuances, et l’on peut y voir une progression intéressante : la royauté est une qualité de Dieu qui dépend de moi qui lui reconnais cette royauté, la puissance est une qualité intrinsèque, qui ne demande pas à être reconnue, mais il faut quand même un autre pour qu’elle s’exerce, et la gloire enfin est totalement auto suffisante. La doxologie nous entraîne ainsi dans un mouvement centripète qui nous mène de nous-mêmes à Dieu, nous conduisant de notre relativité à son absolu éternel.

  En ce sens, la doxologie opère un mouvement ascendant extraordinaire, alors que toute la prière du Notre Père nous amenait de Dieu, du Ciel, vers l’homme et au plus bas de nous-mêmes, avec in fine l’évocation du « malin », le diable, la doxologie nous fait remonter à Dieu par un mouvement d’abandon, d’obéissance et d’abandon de soi-même pour aboutir à l’Éternité ellemême.

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À propos Louis Pernot

est pasteur de l’Église Protestante Unie de France à Paris (Étoile), et chargé de cours à l’Institut Protestant de Théologie de Paris.

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