L’année Calvin, 500 e anniversaire de sa naissance, est l’occasion d’une profusion de manifestations et publications concernant le Réformateur. Vincent Schmid, pasteur à la cathédrale St-Pierre, à Genève, commente et critique cette boulimie.
Ne boudons pas notre satisfaction : le jubilé Calvin 2009 est parti pour être un franc succès. Parmi les protestants et au-delà, il suscite un engouement aussi réel qu’inattendu. Les conférences et autres séminaires publics ne désemplissent pas, les publications sont pléthoriques, de superbes expositions ouvrent tant à Genève qu’à Berlin. Tout se passe comme si ce 500e anniversaire de la naissance du réformateur offrait à ses lointains héritiers spirituels l’occasion de redécouvrir la pensée et l’oeuvre du père fondateur. Voire pour la plupart, il faut rester lucide, de les découvrir tout simplement.
À l’évidence la commémoration répond à une quête identitaire forte. Des évangéliques aux libéraux en passant par les nombreuses nuances intermédiaires, chacun se réapproprie « son » Calvin, quitte à prendre des libertés avec l’histoire… Voici que par la grâce du calendrier, le réformateur se rappelle à point nommé pour combler notre besoin pressant de racines. Il faut dire que la complexité des défis interreligieux, la mort clinique de l’oecuménisme, la difficulté de la transmission et la crise mondialisée rendent urgentissime une redéfinition de l’être et de la vocation des protestants. Quoi de plus naturel alors que de se faire du bien en se tournant vers l’un des grands pionniers du XVIe siècle ?
Il reste que la quête identitaire, aussi légitime soitelle, est une aventure ambiguë. Car elle court le risque sinon de l’idolâtrie, du moins de l’idéalisation excessive. On ne se méfiera jamais assez du culte rendu aux héros d’hier. Prenez l’exemple, en forme de parabole, de la vraie-fausse tombe du cimetière des Rois à Genève. Calvin avait expressément tenu à être inhumé dans l’anonymat de la fosse commune, pour éviter tout ce qui pourrait s’apparenter à une béatification posthume. Ce qui fut fait. On l’enterra derrière l’hôpital « pestilentiel » de Plainpalais sans aucune indication. Au siècle dernier un groupe de pieux hollandais, trouvant sans doute cet anonymat insupportable, fit ériger un simulacre de tombe sur l’emplacement très approximatif de l’ancienne fosse. Le bruit se répandit qu’une mystérieuse pierre gravée « JC » aurait été exhumée par hasard… Devenue attraction pour touristes religieux, la tombe « vraie à quelques hectares près » se déplace désormais au gré des réaménagements du cimetière.
Le comble de l’ironie serait de rendre un culte à Calvin, lui dont la théologie est d’un bout à l’autre une machine de guerre contre l’idolâtrie sous toutes ses formes. Les protestants devraient se souvenir qu’ils n’ont pas de Grand Timonier (à part le Christ) ni de cinquième évangéliste donnant la clé des quatre autres.
Et puis, à côté de son incontestable génie, le cher et vénérable ancêtre n’est pas aussi praticable pour une conscience moderne que le voudraient ses hagiographes. Il a horreur d’être contredit et revendique une intolérance théorique et pratique dont la radicalité ne le cède en rien à celle de l’Inquisition. L’hérétique ne mérite pas de vivre, il doit être exterminé. Tous ses adversaires théologiques (les Anabaptistes, Servet, Gruet, Castellion, Bolsec ou Gentilis) en feront les frais. C’était l’ambiance de l’époque sans doute mais on aurait attendu d’un réformateur qu’il s’élevât au dessus de cette ambiance…
Ses préférences vont à ce qu’il faut bien appeler un ordre moral rigide, même s’il participe d’un vaste mouvement de moralisation à l’oeuvre dans toute l’Europe d’alors. Inflexible envers sa belle-soeur Anne Le Fert qui avait fauté (elle sera torturée et bannie), il est en pointe dans la terrible chasse aux sorcières de 1545 à Vandoeuvres. La Genève calviniste ne fut pas exactement l’Abbaye de Thélème…
Il est aussi un orfèvre en matière d’instrumentalisation du politique par le religieux. Fidèle en cela à un usage séculaire en Occident, il estime que le prince et le magistrat sont au service de l’Église, y compris en matière de répression. Il exige le soutien sans faille de l’État pour mener à bien son projet de réforme.
Enfin il n’est pas aussi irénique qu’on l’a prétendu. À partir de 1562, année correspondant au déclenchement de la guerre civile en France, il se laisse aller dans sa prédication à des justifications de la guerre sainte qui laissent songeur. Là apparaît un intellectuel de combat qui ne s’embarrasse pas d’état d’âme et qui méprise la mort, un chef bien dans le ton de cet incroyable XVIe siècle si éloigné du nôtre.
Donc Calvin ne fut pas un saint et il faut lui rendre cette justice qu’il a détesté l’idée qu’on puisse un jour le considérer comme tel.
Lisons-le ou relisons-le avec toute la passion qu’on voudra, mais abstenons-nous d’idéaliser le père fondateur. Ce n’est pas de son côté que nous trouverons des réponses aux angoissantes questions qui se posent à nous. Les réponses ne peuvent pas être derrière nous, elles sont devant. Pour moi être calviniste, si l’expression a un sens, ce n’est pas répéter comme un perroquet ce qu’a dit ou écrit une grande figure du passé, mais c’est retrouver aujourd’hui l’énergie de conquête et de créativité dont il a été animé jadis.
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