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Affirmation de soi et lâcher-prise

Encore un problème de frontière : celle qui sépare l’affirmation de soi du « lâcher-prise ». Où se situe la limite acceptable entre la ferme affirmation de ses convictions et le renoncement ?

La notion d’affirmation de soi est très fréquente dans la psychologie actuelle. De nombreux ouvrages destinés au grand public y sont consacrés. Le croyant est dès lors amené à se demander jusqu’à quel point cette notion moderne ref lète l’esprit de l’Évangile ? S’il paraît clair que l’Évangile vise lui aussi la croissance harmonieuse de la personne humaine, il semble pourtant que, pour y parvenir, l’Évangile ajoute une orientation complémentaire, pour ne pas dire contradictoire, celle du lâcher-prise dans la foi.

 Qui nous dira quand il faut persévérer, lutter encore, garder espoir et s’affirmer, ou quand au contraire il vaut mieux renoncer, abandonner, laisser faire et lâcher prise ? Derrière cette question surgit le spectre de nos limites, la frontière entre le possible et l’impossible, et plus loin, le partage entre la vie et la mort.

 La foi, voilà toute sa noblesse, c’est chercher à vivre selon Dieu, persister dans une attitude que l’on estime juste. Paul disait : ne pas chercher avant tout à plaire aux hommes, mais à Dieu (Ga 1,10). La foi de l’Évangile, c’est ne pas se laisser emporter par le flot des opinions toutes faites, mais développer l’affirmation de soi avec prudence et courage. Jésus disait : vous avez entendu qu’il a été dit, mais moi je vous dis… (Mt 5). Il considérait que sa conviction pouvait avoir plus de valeur que celle de la tradition. Dans les évangiles, l’affirmation de soi se trouve partout : dans le récit du muet qui parle, dans la guérison du paralytique et bien sûr dans la parabole des talents, qui incite à faire usage de ses dons personnels au lieu de les cacher.

 Il y a pourtant une ombre au tableau : l’affirmation personnelle de Jésus a entraîné sa mort sur la croix. Ceux qui ont ordonné sa mort l’on fait parce que sa force d’affirmation les gênait. Or, même dans sa mort, Jésus ne se renie pas. Il n’exprime pas de remords, il resteaffirmé sans s’imposer. Mais le Christ qui meurt sur la croix, ce n’est pas tant ce héros qui triomphe sans céder que cet homme faible qui capitule en disant : « Père, je remets mon esprit entre tes mains » (Lc 23,46). Au point qu’à l’espoir se mêle le désespoir : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mc 15,34).

 La foi, ce n’est donc pas seulement un geste de lutte, d’affirmation de soi, mais aussi un geste d’abandon, de lâcher-prise, de confiance en Dieu dans l’adversité. Lorsque l’on désespère d’être compris par les autres, ou face à ces océans de douleur intérieure, il convient de s’en remettre à Dieu. Une fois passé le temps de la révolte, comment affronter le destin, l’accident, le licenciement, la maladie incurable, le deuil, autrement qu’en se rendant à l’ultime refuge, à l’Esprit consolateur, à Celui duquel tout provient et vers lequel tout va ?

 Le lâcher-prise comporte ainsi une vertu pacificatrice. Lorsque les événements ne se sont pas déroulés comme nous l’attendions, il est temps de se remettre en question. Lors d’un conf lit, il serait peut-être préférable de considérer aussi les raisons de l’autre. Le lâcher-prise se fait ainsi geste d’humilité, capacité à reconnaître sa part de torts, figure d’ouverture et de souplesse d’esprit.

 La psychologie moderne, en insistant sur des notions telles que l’affirmation de soi, a souvent voulu contester la focalisation excessive du christianisme sur les valeurs d’humilité, de service, de faiblesse, de mal, de péché, d’appel à porter sa croix, etc. Ce correctif demeure important et a permis aux chrétiens de redécouvrir l’aspect libérateur et vitalisant de l’Évangile. Cependant, une telle psychologie court le risque inverse de se centrer trop unilatéralement sur l’épanouissement individuel, sans détour suffisant par cette exigence de justice qui réside au coeur de l’Évangile, rappelant que l’amour de soi ne saurait s’enfermer dans une relation exclusive de soi à soi, mais se construit dans le décentrement vers Dieu et vers le prochain, dans le couple, la famille, la communauté, la société entière.*

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À propos Gilles Bourquin

étudie la théologie protestante à Neuchâtel puis exerce le ministère pastoral en Suisse dans les cantons de Neuchâtel, Jura et Berne actuellement. Il est l’auteur d’une thèse de doctorat sur la théologie de la spiritualité, publiée chez Labor et Fidès, et a exercé durant 6 ans des fonctions de journaliste et corédacteur en chef aux journaux d’église La Vie Protestante NeBeJu puis Réformés romand.

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