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Pionnière du féminisme

 

Agrégée d’histoire et maître de conférences honoraire à l’Université de Paris-IV-Sorbonne, Gabrielle Cadier-Rey nous offre un petit bijou, en nous présentant pour notre plus grand bonheur une destinée exceptionnelle, celle de Sarah Monod. Dans ce livre dense et passionnant, porté par une écriture joyeusement expressive, l’auteure nous dessine un portrait surprenant et attachant d’une femme méconnue dans la dynastie des Monod, au sujet de laquelle le Figaro écrivit pourtant en 1899 : « Mademoiselle Monod est l’unique grande puissance féminine du moment. Elle seule possède le moyen d’assembler et de gouverner (…) le Féminisme tout entier. » Cette femme, pionnière du féminisme et de l’action philanthropique, n’avait pas encore de biographie. Cet oubli est aujourd’hui heureusement réparé.

Fille du pasteur Adolphe Monod, voici comment son père nota la naissance de son enfant dans son journal intime : « 24 juin 1836 : naissance de Sarah, à 11 heures et demie du soir. Béni soit Dieu ! J’ai eu de la peine à bénir Dieu de ce que c’était une fille (sic). Le Seigneur confondra mon incrédulité. »

Adolphe Monod n’aura ni le temps, ni l’occasion de découvrir comment le Seigneur prit en quelque sorte au sérieux son affirmation, puisque quand il meurt, Sarah a seulement 20 ans. Toute la famille est à Paris. La mère de Sarah, Hannah Honyman-Monod, est engagée dans L’œuvre protestante des prisons de femmes, fondée en 1839, située à Saint-Lazare qui est la principale prison pour femmes à Paris. Cet établissement est dirigé par des religieuses et reçoit des femmes purgeant leur peine, ainsi que des prostituées. Sarah Monod s’intéresse à cette œuvre protestante et aux prisons de femmes, mais également au sort réservé aux femmes détenues. Elle ressent une empathie envers ces femmes, qui l’amène à les considérer comme des victimes, même si elles ont commis des forfaits. Elle se pose alors la question : sont-elles responsables du milieu dans lequel elles sont nées ? Ainsi, quittant le plan moral et religieux de la pitié, la pensée de Sarah Monod s’oriente vers une remise en cause d’un certain ordre social. C’est le début de l’aventure de sa vie qui prend une tournure inattendue pour une femme de cette époque.

Personne ne songe à s’occuper de ces femmes une fois qu’elles sont sorties de prison. C’est alors que la communauté des Diaconesses de Reuilly voit le jour en 1841 et dès 1842 s’ouvre le Refuge pour les détenues libérées. Quand la Société générale des prisons (SGP) est créée en 1877, Sarah Monod est une des 21 femmes qui en font partie, sur les 3 000 adhérents. Sarah jouera un rôle important dans la législation sur la protection de l’enfance, à partir de 1889, sujet auquel s’attachera plus tard le Conseil national des femmes françaises (CNFF) que Sarah présidera.

Les Diaconesses souhaitent recevoir Sarah Monod en leur sein. La fondatrice des Diaconesses, Caroline Malvesin, prenant sa retraite en 1867, le conseil d’administration nomme Joena Waller, d’origine hollandaise, comme directrice des Diaconesses le 12 mai 1869. Le 30 août de la même année, à la demande du même conseil d’administration, Sarah Monod est appelée à seconder soeur Joena Waller comme directrice laïque, afin d’apporter à celle-ci sa connaissance des milieux protestants français.

Au début de la guerre franco-allemande de 1870, Sarah Monod part sur le front, à quelques kilomètres de Sedan, à l’initiative du Comité évangélique de Paris. En tant qu’économe, elle organise les équipes d’infirmières laïques, venues renforcer la présence des Sœurs de la charité. Sarah innove avec cette présence des infirmières laïques, inaugurée par Florence Nightingale pendant la guerre de Crimée. Sarah sera diplômée de « l’œuvre internationale pour le secours volontaire sur les champs de bataille, dans les ambulances et les hôpitaux » et recevra une décoration.

Une autre guerre se déclare alors, civile celle-là : la Commune. Les établissements des Diaconesses sont aux premières loges pendant une semaine sanglante. Nombreux sont ceux, catholiques et protestants, qui trouvent refuge dans la Maison des diaconesses. C’est après la Commune que Sarah Monod et sœur Waller vont effectuer ensemble un très long voyage à travers la France pour renforcer les liens entre la maison-mère et les différents établissements locaux. Les deux femmes deviennent amies. Par la suite, sœur Waller demandera à Sarah Monod de partager avec elle la direction de la Maison des diaconesses. Leur tandem durera jusqu’à la retraite de sœur Waller. La communauté des Diaconesses prend alors un essor foisonnant. Les deux directrices gardent la main sur l’accueil pénitentiaire des jeunes filles protestantes délinquantes, placées par décision de justice.

En 1874, Sarah Monod fait la connaissance de Joséphine Bulter, une femme anglaise qui milite contre la prostitution réglementée et la double morale. Dès lors les engagements sociaux de Sarah deviennent des engagements féministes. « L’abolitionnisme devient le terrain idéal de rencontre entre philanthropie protestante et féminisme. » En janvier 1877, Sarah Monod est un des membres fondateurs de l’Union internationale des amies de la jeune fille dont le siège est à Neuchâtel en Suisse. En 1884, elle crée la branche française de cette Union qui regroupera un millier de membres.

Entre-temps, le journal La Femme, organe des institutions féminines chrétiennes voit le jour. Sarah en préside le comité de rédaction. Progressivement, ce journal évolue vers les questions sensibles des inégalités non seulement sociales mais aussi entre les hommes et les femmes. Dès 1892, une nouvelle rubrique apparaît, portant simplement le nom de « Féminisme », qui, peu à peu, prend position sur les droits civils et civiques des femmes. En 1901, Sarah Monod est élue présidente de la branche française du Conseil international des femmes, le Conseil national des femmes de France (CNFF) qui sera, de loin, la plus importante association féminine en France et la plus fortement organisée.

Ce petit livre se lit aisément. Il fourmille d’un très grand nombre de détails qui nous relient à l’essor florissant d’un protestantisme social actif au XIXe siècle. Grâce aux nombreuses notes en bas de page, on ne se perd ni dans la chronologie historique ni dans la dynastie des Monod.

Le 24 juin 2022 à Paris, en face de l’Institut de formation en soins infirmiers Caroline Malvesin, a été inaugurée la place Sarah Monod, 186 ans après sa naissance, à la station de métro Montgallet. Aujourd’hui encore de nombreuses femmes sont maltraitées et assassinées à travers le monde parce que femmes, il est donc important de savoir qu’il y a eu et qu’il y aura encore des personnes courageuses et intègres qui se lèveront pour prendre la défense des sans voix, et d’autres pour ressusciter leur mémoire.

Comme l’écrit l’auteure de cette biographie vibrante : « Il faut admirer Sarah d’avoir compris les évolutions de son temps et de s’être dégagée du poids de son éducation spirituelle.»

Gabrielle Cadier-Rey, Sarah Monod. Philanthropie et féminisme au XIXe siècle, Ampélos, Paris, 2022, 122 pages.

 

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À propos Agnès Adeline

est pasteure de l’Église protestante unie de France à Paris (Oratoire), et aumônier à la Maison d’arrêt de Paris la Santé

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