Marié à ma compagne avant qu’elle ne devienne pasteure, j’ai assisté au long devenir de sa vocation et, en l’accompagnant sur ce chemin, j’ai appris au moins trois choses importantes que mon métier de professeur de philosophie à l’université ne me disposait pas forcément à reconnaître ou à pratiquer : une certaine humilité, la patience d’attendre et la graduelle reconnaissance de sentiers que je n’étais pas accoutumé à fréquenter.
Rappelé plaisamment à l’humilité par les propos ironiques de quelques paroissiens sur ma situation de « prince consort », qui serait contraint de s’effacer en marge de toutes les scènes où mon épouse serait censée briller tandis que je devrais rester dans l’ombre comme un protestant de « seconde zone », ou encore, interpellé plus sérieusement par d’autres, sur ma situation de « coach » comme si sa vocation pastorale était celle d’une carrière que j’aurais à gérer, voire parfois questionné, avec moins de fard encore, sur le point de savoir si je ne l’aidais pas à écrire ses prédications et autres discours qui sont les siens, il me vient souvent à l’esprit que ces propos, si évidemment misogynes, touchent juste pour une raison que les auteurs ne connaissent pas : comme il me serait commode d’occuper les temps où j’attends mon épouse en lui rédigeant, si j’en étais capable, les textes dont elle a besoin !
Car, pas plus qu’un pasteur, une pasteure n’a d’heure et ne s’appartient. La contingence des événements décide, pour une grande part, de son emploi du temps. Pour être mari de pasteure, il faut donc être capable de supporter impromptu une prolongation de solitude.
Mais, pour quelqu’un qui aime son épouse, qui ne voit pas seulement en elle sa propre image, et pour qui l’amour est le désir et la volonté que la force d’existence et de pensée de l’aimée soit la sienne, les petits désagréments précédents ne relèvent que de l’intérêt personnel. J’ai appris à son contact, longuement, lentement, avec une infinie douceur, à écouter sa foi et, sans l’avoir moi-même, à recueillir sa façon de symboliser par d’autres symboles, ceux que je pouvais apporter par moi-même, et à transformer ce qui se présentait d’abord comme l’incroyance incertaine d’elle-même, mais peu inquiète d’un agnosticisme, en une interrogation de meilleur aloi, plus exigeante dont je dois presque tout le contenu à la pasteure que j’ai pour épouse. De nous deux, quel(le) est celui ou celle qui « coachait » l’autre ?
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