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Dissoudre ou revendiquer le féminin ? « Il n’y a plus ni homme, ni femme », dit Paul (Galates 3.28).

 

Il ne s’agit pas à proprement parler d’une position féministe. En dehors des « vierges », « veuves » ou diacres au féminin (1 Corinthiens 7, 1 Timothée 5.3-16, 1 Timothée 3.11…) tout adonnées à leur foi dans le christianisme primitif, la belle affirmation de Paul n’ôtait rien aux rôles sociaux traditionnels. Comme pour les esclaves et les hommes libres, égaux devant Dieu mais non dans leurs statuts, elle ne situait l’égalité entre hommes et femmes que sur le plan de la conversion, de la prière, et de l’enseignement des voies du salut.

Le « réveil » actuel que l’on appelle woke serait-il en train de transposer pour de bon cet effacement des sexes dans la vie sociale, sous la forme d’une indifférenciation qui rendrait même désuètes les prétentions féministes à l’égalité ou à la parité ? On sait que l’étude des formes ultra-minoritaires de la sexuation humaine1 aboutit ces dernières années à l’idée d’un continuum du masculin au féminin (ou inversement) : une sorte d’arc-en-ciel où les couleurs se fondent les unes dans les autres se substituerait ainsi à la traditionnelle opposition des deux sexes. Mais on n’en constate pas moins, dans nos sociétés, l’universalité de la « valence différentielle des sexes » théorisée par Françoise Héritier, cette inégalité entre le « premier » et le « deuxième » sexe (rappelons ici les travaux de Simone de Beauvoir !) qui se reflète jusque dans le numéro national d’identité de chacun des Français… Or, le résultat paradoxal de cette contradiction entre une opposition combattue et une indifférenciation revendiquée menace aujourd’hui de tourner au quasi effacement des femmes : on les voit rangées parmi les « minorités » en tant que socialement défavorisées par rapport aux hommes, et, quoique représentant près de la moitié de l’humanité, classées parmi d’autres catégories dans un vaste lot de déshérités : au point que, par exemple, une vertueuse offre d’emploi canadienne encouragera à postuler, dans une même liste, les « indigènes, Noirs, personnes racialisées, femmes, personnes porteuses de handicap et de diverses identités sexuelles ou de genre », opposant sans le dire, on le devine, tout ce lot de discriminés, voire diminués, aux candidatures de mâles « hétéros » blancs non « porteurs de handicap ». On devine que pour les femmes, s’il en reste, la concurrence sera rude pour l’obtention du poste, non plus seulement avec les hommes, mais avec toutes les autres « identités » marginalisées, parmi lesquelles les identités de genre où elles ne formeraient qu’un sous groupe lui-même divisible et susceptible de se combiner avec un ou plusieurs autres sous-groupes pour réaliser toutes les formes possibles de l’intersectionnalité.

On remarquera que ce dernier mot intègre la racine du mot « sexe » pour le renverser en son contraire, les inter-croisements colmatant la « coupure » que suppose « sexe », et n’en laissant subsister que l’essentialisation d’un statut de victime opposé à celui de prétendus gagnants. J’avais naguère la fierté d’être une égale entre des égaux et une femme solidaire de femmes – et d’hommes ! – dont l’identité était une affaire personnelle et non la mienne. Ce temps me paraît fort décrié aujourd’hui.

Les Lumières nous ont laissé les écrits d’une femme récemment sortie de l’ombre : Louise Dupin (Paris 1706 – Chenonceau 1799), autrice d’une sorte d’encyclopédie de la condition féminine : Des femmes. Observations du préjugé commun sur la différence des sexes2. N’en citons que les premières phrases de l’« article 1 » :

Ce qui distingue les hommes et les femmes ne paraît en nulle façon pouvoir être la source d’une différence de mérite, d’intelligence, de lumières, ni d’aucune qualité quelconque. Peut-être y a-t-il une différence entre eux, quoiqu’elle soit inconnue ; si on la trouvait, ce serait un des plus curieux points que la métaphysique, la physique et la morale eussent jamais découvert […]

Un peu plus loin elle ajoute :

Ce qui constitue le sexe [scil. barbe, voix, « un peu de force dans l’animal »] […] ce sont réellement les seules différences qui se puissent articuler. Il me semble que tout est dit. À chacune d’y prendre appui pour affirmer et pour exercer pleinement sa dignité.

 

1. La sexuation désigne la formation des caractères sexuels dans l’organisme. Elle fait intervenir dans les gènes humains la 23e “paire” de chromosomes – ordinairement, comme on sait, XX pour les filles, XY pour les garçons, avec cependant d’autres combinaisons possibles : de l’hermaphrodisme aux diverses variations chromosomiques qui tirent tantôt vers le féminin et tantôt vers le masculin, l’ensemble de ces variantes, toutes très minoritaires et qui souvent échappent à l’observation courante, pourrait concerner jusqu’à 1,7 % des naissances. Voir Anne Fausto-Sterling, Les cinq sexes, pourquoi mâle et femelle ne sont pas suffisants, suivi des « Cinq sexes revisités », trad. fr., préface de P. Molinier : « Un texte théorique libérateur », Payot & Rivages, 2013 et 2018 (1993 pour l’édition anglaise).

2. L’ouvrage, en vue duquel Rousseau tint un rôle de secrétaire – qu’il avait fort oublié en écrivant l’Émile et imaginé une éducation au rabais pour la femme idéale –, vient d’être publié pour la première fois en 2022, par Frédéric Marty aux éditions Classiques Garnier.

 

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À propos Renée Koch Piettre

Professeure agrégée de Lettres classiques, Renée Koch Piettre est directrice d’études émérite, chaire d’anthropologie religieuse de l'EPHE/PSL Elle est spécialisée en historiographie et épistémologie des sciences des religions, ainsi qu'en anthropologie historique et comparée des religions dans le monde grec ancien.

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