Quand je m’octroie un petit plaisir régressif et retrouve les super-héros de mon enfance dans l’un de ces films Marvel qui triomphent au boxoffice, je constate qu’ils sont souvent confrontés à des méchants aux profils et motivations similaires. On peut mettre cela sur le compte d’une paresse scénaristique pour des œuvres produites à la chaîne, mais c’est aussi révélateur d’un certain nombre d’idées voire d’impensés véhiculés par ces films. Il est d’autant plus intéressant de les relever que des millions de spectateurs, notamment parmi les plus jeunes, y sont exposés.
Régulièrement, le méchant de l’histoire se targue d’établir rien moins que le paradis sur terre, quitte pour cela à commettre un génocide : la fin justifie les moyens. Qu’il s’agisse du redoutable Thanos, antagoniste principal de l’équipe des Avengers dans toute une série de films et dont le projet malthusien pour le salut de l’univers consiste à éradiquer la moitié de sa population, ou de Harrow dans la récente série Moon Knight, qui ambitionne de supprimer à l’avance toutes les personnes susceptibles de commettre un crime, on a affaire à des individus blessés, endeuillés, qui ne sont pas foncièrement mauvais mais qui ont basculé.
Ce qui est mis en exergue à travers ces personnages, c’est la tentation de la maîtrise absolue, du refus des limites et, paradoxalement, de la mort. Même les superhéros ne sont pas à l’abri de se fourvoyer quand ils prétendent imposer au monde l’ordre et la sécurité, menant au mieux à un cauchemar climatisé, au pire à la catastrophe.
Il y a sans doute quelque chose de très américain et de très libéral dans le rejet, affiché par ces productions, d’une utopie qui serait brutalement imposée d’en haut. Mais il y a aussi quelque chose de très biblique : cette tentation n’est autre que celle du jardin d’Éden, celle à laquelle Jésus est soumis au désert : croire qu’être doté d’un pouvoir démesuré permettra d’en finir, par la force s’il le faut, avec la faim, la guerre, la souffrance… Ces films ont le mérite de rappeler qu’à se vouloir comme des dieux, on perd son humanité.
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