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Ego sum qui sum

Quand Moïse demande à Dieu qui il est, celui-ci répond : « Je suis celui qui suis » (Exode 3,14), trois mots en hébreu qui recèlent tout le mystère de la nature
divine, dont on peut faire plusieurs lectures.

 Va te faire cuire un œuf

La première et la plus évidente, dont tous les bons théologiens disent qu’elle est fausse, est que Dieu répond à Moïse en quelque sorte : « je suis qui je suis… et va te faire cuire un œuf ! ». Autrement dit : « Peu importe qui je suis, je te demande juste d’aller aider le peuple à se libérer de sa souffrance. Mon nom, ou qui je suis on s’en fiche, ce qui compte, c’est l’action, de faire le bien ». C’est vrai, peu importe qu’on appelle Dieu, l’Éternel, Allah, le grand architecte, ou l’esprit du monde, tant que sa croyance pousse à libérer, à aider, à annoncer la grâce. Même prétendre croire en Dieu, ou ne pas croire en lui, est-ce important tant qu’on aime son prochain et qu’on est prêt à pardonner et à servir ?

 L’onto-théologie

À l’inverse, on peut faire une interprétation forte de notre verset, et penser qu’il y a là une affirmation ontologique : « je suis l’être ». C’est la base de l’onto-théologie très en vogue au Moyen Âge affirmant que dans le monde, il y a des choses qui sont, or tout ce qui « est » participe à quelque chose de commun qui est l’être. Mais qu’est-ce que l’être en tant qu’être ? Cet être pur, sans quelque chose qui soit, auquel participe toute chose ? C’est Dieu, lui qui fait être chaque chose. Dans cette lignée, des théologiens modernes ont présenté Dieu comme « la puissance d’être », ce qui pousse tout humain et toute chose à être, à plus être et à mieux être.
Mais le livre de l’Exode voulait-il faire de l’ontologie ?

 L’inaccompli hébraïque

Une autre lecture demande à quel temps il faut traduire : Dieu dit-il : « je suis qui je suis », ou « qui je serai ? ». Or en Hébreu, il n’y a pas de temps comme en français, il y a juste un accompli pour une action passée, et un inaccompli pour une action passée présente ou future qui se prolonge dans le futur. Ainsi le « Eheyé » peut se traduire par « je suis », « j’étais », ou « je serai », et en fait ce sont les trois à la fois. Dieu dit donc : « je suis celui qui était, qui est, et qui sera », formule reprise par l’Apocalypse. L’idée est bonne : tout dans ce monde un jour n’était pas et un jour ne sera plus, mais tout ne peut pas être passager, qu’est-ce qui est l’intemporel, ce qui demeure, l’absolu, la transcendance ? C’est ce que nous appelons Dieu. De là vient le nom de « Yahweh » que les protestants ont eu la bonne idée de traduire par « l’Éternel », et croire en Dieu, c’est s’attacher à l’intemporel, fonder sa vie sur l’absolu et le transcendant.
Mais Dieu voulait-il jouer sur les temps avec Moïse ?

 L’existentialisme

Et puis, il y a ceux qui donnent un sens plus faible au verbe « être », comme les existentialistes. Pour eux, il y a deux choses différentes : être et exister. Exister, c’est pour les choses, ce qui est matériel et visible. Et pour eux, Dieu n’existe pas, il est. Dieu, en effet, n’est pas un objet, il n’a pas d’existence comme vous ou moi ou quelque chose. Mais il est.

 La théologie apophatique
Que dirons-nous donc ? Que Dieu est, sans en dire plus. Dieu est difficile à imaginer, donc finalement, la première option n’était pas si bête, Dieu refuse de répondre : on ne peut pas donner un nom à Dieu, ni dire exactement ce qu’il est. Le nommer serait l’enfermer dans des images humaines, or Dieu est ce qui dépasse tout, l’au-delà de tout, le « tout autre ». Pour les juifs, son nom est même inconnaissable, Dieu, c’est l’indicible. Cette « théologie apophatique », a raison : dire quelque chose de Dieu, c’est forcément dire faux. L’important, c’est comment l’idée que l’on en a nous fait vivre, et ce qu’elle génère en nous d’amour, de générosité et d’action positive dans ce monde.

Donc Dieu est, parce qu’il y a du bien à accomplir dans ce monde, quant à dire ce qu’il est vraiment, je ne saurais le dire.

Et donc je me tais.

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À propos Louis Pernot

est pasteur de l’Église Protestante Unie de France à Paris (Étoile), et chargé de cours à l’Institut Protestant de Théologie de Paris.

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