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Sortir l’histoire de l’apologétique

 

Dans la tradition catholique a toujours existé une historiographie proche de l’apologétique et ce dès la patristique, pensons à l’histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée (IVe siècle ap. J.-C.). Face à la Réforme, émerge encore le besoin de défendre ce qu’est devenue l’Église à travers l’histoire contre la tentation d’un retour aux temps apostoliques, comme l’illustre l’Œuvre de l’Esprit du cardinal Bellarmin.

Si ce type d’historiographie, pour laquelle l’Église ne change pas à travers le temps, existe toujours dans certains milieux et séminaires, même ouverte aux méthodes critiques, elle n’est guère compatible avec l’histoire au sens moderne. D’un point de vue académique, l’étude du fait religieux aujourd’hui ne considère pas en effet que l’Église forme une institution continue de l’époque de Jésus à nos jours et admet que ce qu’on appelle Église, religion, catholicisme ou même christianisme varie. Tout est lié à des rapports sociaux qui changent, et sont amenés à évoluer sûrement à l’avenir.

Ce qui nous amène à un problème de définition – de quoi et de qui fait-on l’histoire exactement ? Des intellectuels comme Guillaume Cuchet ou Yann Raison du Cleuziou centrent leurs analyses sur la pratique religieuse et sacramentelle. Ils restent ainsi attachés à une vision pour laquelle ne sont d’Église que ceux qui ont les pratiques reconnues par l’institution. À titre personnel, je milite pour qu’on fasse une histoire de ceux qui se disent catholiques, sans être nécessairement pratiquants, mais qui ont une recherche spirituelle et s’enracinent dans une tradition. Sinon on risque de rendre invisibles des populations et des expériences entières – et d’utiliser l’histoire pour exclure ceux qu’on perçoit comme de « mauvais catholiques ».

La condamnation durable du « modernisme » , au début du XXe siècle, et surtout de l’histoire critique, a laissé un héritage qui teinte le débat entre catholiques d’ouverture et traditionalistes ; l’idée d’une succession apostolique ininterrompue jusqu’à nos jours, par exemple, peut être instrumentalisée pour freiner les progrès de la synodalité.

(propos recueillis par Adrien Duclos)

 

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À propos Anthony Favier

est docteur en histoire, spécialisé dans l’histoire religieuse et l’histoire du genre. Il a travaillé entre autres sur les Jeunesses Ouvrières Chrétiennes (1954-1987). Il préside l’association David & Jonathan, ouverte aux personnes LGBT chrétiennes ou en recherche spirituelle. Il enseigne dans le secondaire et à Sciences-Po.

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