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Saintes colères (Mc 3,5)

Il n’est pas certain que la colère soit le premier sentiment que l’on associe à Jésus. Il est plus volontiers présenté comme un être de douceur et de paix. Il en va de même du Dieu de Jésus Christ, ce Dieu d’amour que les évangiles nous font connaître. La colère, ce serait bon pour le Dieu de l’Ancien Testament. Pourtant elle a sa place chez Jésus. Le terme même lui est appliqué en Marc 3,5, quand le narrateur rapporte que Jésus regarde ses interlocuteurs avec colère.

On est alors en pleine polémique entre Jésus et les pharisiens, ces Juifs qui revendiquent une obéissance scrupuleuse à la loi religieuse. Jésus va au-devant des ennuis, puisque c’est à la synagogue, où il était sûr de trouver des pharisiens, qu’il se propose de guérir un homme à la main paralysée, chose proscrite un jour de sabbat. Et il va le faire crânement, ostensiblement, en plaçant l’homme au centre de l’assemblée. Comme pour provoquer les personnes présentes.

En guise de réaction, alors qu’il les prend à partie, Jésus n’obtient que le silence. Ils sont incapables de reconnaître que la vie d’un homme importe plus que le respect tatillon de leurs préceptes religieux, dont ils ont perdu de vue le sens : permettre l’épanouissement des hommes et des femmes. Mais la loi a été pervertie, elle est devenue un nouvel esclavage, qui empêche de considérer le bien de la personne que l’on a en face de soi. C’est par dépit devant cet endurcissement du cœur que naît la colère de Jésus.

La même histoire est reprise chez Matthieu et Luc, mais il n’est plus question de cette colère. D’après les exégètes, le récit de Marc est plus ancien et constitue la source de ces deux évangiles. Peut-être leurs auteurs ont-ils voulu gommer un trait qu’ils estimaient gênant, dans le tableau qu’ils souhaitaient présenter de Jésus. En revanche, en Luc 6,11, ce sont les pharisiens qui sont en colère, après que Jésus a guéri l’homme à la main paralysée. Luc écrit qu’ils sont remplis de fureur. En grec, c’est un autre mot qui est utilisé, et ce n’est pas de la même colère qu’il s’agit. Selon l’étymologie, c’est une colère qui confine à la déraison, un débordement qui conduit à la violence.

Il est donc possible d’établir des distinctions au sein de la colère. C’est aux fruits que celle-ci porte qu’on la reconnaîtra. Les pharisiens, sous l’effet de la colère, en viennent à préméditer l’assassinat de Jésus. Et ils le font, ce qui est ironique dans le contexte, le jour du sabbat. Ce faisant, ils respectent la lettre de leur loi, mais en trahissent foncièrement l’esprit. Leur furie ne débouche que sur la mort. Voilà où les mène leur rigorisme religieux. À l’inverse, l’acte qui traduit et concrétise la colère de Jésus n’est pas un acte destructeur mais un acte de guérison, porteur de vie.

D’un côté, il y a l’exaspération face à celui qui met en cause le système en place, aussi absurde soit-il, une colère meurtrière devant la perception d’une menace pour ses propres privilèges. De l’autre il y a aussi la colère, mais une colère devant tout ce qui mutile la vie. Celle du malheureux à la main paralysée, comme celle de ces pharisiens enfermés dans leurs certitudes déshumanisantes. Il y a un temps pour cette colère-ci, pour l’indignation qui mobilise, pour la révolte qui pousse à agir en faveur de plus de vie et de justice. Un temps pour ne plus fuir le conflit. Jésus, lui, s’y engage, au point qu’il y donnera sa vie. Car c’est à la croix que le conduira le complot des autorités politico-religieuses.

Il y a une façon de faire de Dieu une idole qui consiste à l’édulcorer. On se fabrique un Dieu tiède, inoffensif, qui ne dérangera pas nos petits arrangements. Mais le Dieu de Jésus Christ, parce qu’il est un Dieu d’amour, est un Dieu passionné, passionné de l’homme au point qu’il s’engage dans un combat avec lui, un combat pour lui. Il y a place alors pour la colère, une colère non pas destructrice mais guidée, toujours, par le souci de la vie et de la libération des hommes et des femmes qu’il chérit.

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À propos Sébastien Gengembre

est pasteur proposant de l’Église protestante unie de France, au sein de l’église locale de Clermont-Auvergne.

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