Je suis toujours un peu méfiant concernant la présentation qu’on fait de la mystique, souvent réduite à une antithèse de la froide raison. Tout dépend de ce que l’on veut dire quand on parle de mystique. Si on veut parler d’une expérience intime retranscrite, où l’on se tient seul dans la révélation, ce n’est pas à mon sens de la théologie. C’est même le contraire et prendre le risque de s’attester soi-même comme lieu de la vérité. Mais si on veut dire que le critère de vérité de la théologie n’est pas énonçable objectivement mais tient dans le rapport à Dieu et à son action dans le monde, alors toute théologie est mystique, car elle est en rapport avec une révélation elle-même non énonçable objectivement.
Cette deuxième définition pose en quelque sorte les limites du travail théologique. Je pense qu’il existe une identité entre le caractère mystique de la théologie et ce qu’on pourrait appeler sa modestie, ou la grisaille ordinaire du discours de la théologie rationnelle. Accepter ce caractère ordinaire, c’est accepter, avec les moyens humains dont on dispose, ce qu’est profondément la théologie. La mystique ainsi comprise devient précisément le fait d’admettre l’absence de phénomènes extraordinaires. Même un miracle (et qu’il puisse y avoir une théologie est un miracle) est toujours impossible à attester complètement ; c’est un signe ambigu par nature. Le miracle est moins fort, moins intense que ce qu’on peut imaginer (1 R, 19, 12).
Par bien des aspects, parce qu’on ne peut pas se tenir dans la vérité, le christianisme est une méditation sur l’échec. Ou sur notre échec ; car nos échecs ne sont pas ceux de Dieu. On pourrait croire que ma vision est pessimiste, mais je dirai plutôt qu’elle est libératrice : on ne peut pas être parfaitement ce que Dieu attend de nous. Le doute et la grisaille nous sont même d’un certain secours ; ils nous protègent de deux tentations : se réfugier dans une piété silencieuse d’un côté, et de l’autre trop croire à ce que l’on croit, penser être le lieu de la vérité, et verser dans l’idolâtrie de la conscience.
(Ce texte est issu d’un entretien accordé à Adrien Duclos)
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