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Premier manifeste réformé

 

Il faut saluer cette publication d’une œuvre majeure, certes écrite il y a 500 ans, mais porteuse d’une conviction et d’une verve qui touchent le chrétien d’aujourd’hui, et remercier en particulier le traducteur, Bernard Reymond. Il nous présente ce texte comme « le tout premier manifeste de ce qui allait devenir la branche proprement réformée du protestantisme ». Ces 67 thèses sont celles de la dispute de religion organisée à Zurich en 1523, et défendues par Zwingli, alors curé de Zurich. La tonalité des intitulés varie : seulement théologique, souvent aussi polémique, parfois moqueuse.

Dès le premier article, dont la thèse est que « Tous ceux qui disent que l’Évangile n’a pas de valeur sans la certification de l’Église se trompent et insultent Dieu », la « méthode » de Zwingli apparaît clairement : il affirme s’appuyer sur l’Écriture sainte, « c’est pourquoi je fais savoir à tous les frères en Christ que j’ai publié cet article comme référant au solide fondement de l’Écriture sainte » et cite Jérémie 31, 33-34 : « Dieu écrit lui-même si distinctement sa volonté et sa loi dans le cœur des humains que personne ne doit apprendre cela des humains. » Mais il adjoint à ceci un argument d’un autre type, plus polémique et savoureux : « Les apôtres, après avoir été envoyés et avoir reçu l’ordre de prêcher l’Évangile, n’ont pas d’abord fait décider par des conciles s’ils pouvaient accepter cet Évangile. » L’argumentation fondée sur les textes, associée à une verve polémique, voilà la « méthode » de Zwingli.

Dans cinq des articles, il développe plus longuement sa thèse. Dans l’article 5, il explique ce qu’est véritablement l’Évangile. « Le monde entier n’a jamais entendu une nouvelle plus heureuse et n’en entendra plus jamais une meilleure ; car avec elle, toutes choses deviennent faciles et pures, et ce qui auparavant a beaucoup effrayé et damné est maintenant salutaire. » La thèse de l’article 16 énonce que « dans l’Évangile on apprend que les doctrines et ordonnances des humains ne contribuent en rien à la béatitude ». Il y écrit : « En somme : Toutes les œuvres qui sont bonnes, c’est Dieu qui les accomplit en nous : rien n’est bon sauf ce qui vient de Dieu » ; « Dieu ne suscite donc pas les œuvres que nous accomplissons en vertu des doctrines et des commandements humains ; elles sont au contraire de l’illusion, de l’apparence et de l’esbroufe. » L’article 18 porte sur le sens de la messe, qui pour Zwingli n’est pas un sacrifice, mais une remémoration. Le sacrifice du Christ a eu lieu une fois pour toutes. On y lit : « L’homme est-il donc au-dessus de Christ pour qu’il veuille offrir Christ en sacrifice et se conserver ou s’épargner lui-même ? Va, offre-toi toi-même en sacrifice à Dieu si tu veux avoir offert un sacrifice. » Dans l’article 20, Zwingli s’élève contre l’idée de médiateurs autres que Christ entre Dieu et les humains, tournant le plus souvent en ridicule les arguments de ses opposants.

La thèse de l’article 57 énonce clairement que « la vraie Écriture sainte ne sait rien d’un purgatoire après ce temps-ci ». Zwingli écrit : « Mais ne savez-vous pas que Christ seul est notre justice (1 Co 1,30), et que nous ne pouvons parvenir à Dieu par aucun autre chemin que par lui ? … Regarde vers quoi vous vous acheminez avec vos bavardages ! Vous vous éloignez de la foi et anéantissez la force de la croix de Christ, vous outragez l’inépuisable grâce et vertu de la souffrance de Christ. Si Christ satisfait pour tous nos péchés, que vient y faire le purgatoire ? Si le purgatoire nous ouvre le chemin vers Dieu, qu’avons-nous besoin de Christ ? Malheur à vous, calomniateurs de Dieu qui pervertissez toute vérité ! » Cette dispute n’est pas un débat théologique réservé aux spécialistes. Ce qui frappe, c’est le souci de Zwingli pour chaque chrétien. Un souci d’enseignant : il explique ainsi ce que sont une allégorie (art. 52) et une parabole (art. 57), dans le but d’éviter au chrétien des contresens sur l’Écriture, mais aussi de l’armer contre ceux qui pourraient la trahir. Mais son souci est surtout celui d’un pasteur. Son but, évident, est de faire partager sa conviction que ce qui est dit dans l’Évangile est libérateur. Cette « dispute » est aussi une prédication.

Ainsi, dans l’article 18, Zwingli veut s’assurer que chaque chrétien comprend le sens de la messe : « Le corps et le sang de Christ ne sont rien d’autre que la parole de la foi. » Il ajoute : « Pour que l’essentiel du testament soit plus compréhensible pour les simples fidèles, Christ a donné pour son corps un élément consommable à savoir le pain, et pour son sang une coupe ou un breuvage, de telle sorte que [ces fidèles] soient affermis dans la foi par un acte visible. »

Plus loin dans le même article, le souci est le même mais le ton change et se fait accusateur envers les « papistes » : « Ils ont tellement tourmenté les consciences pieuses et en mal de consolation qu’elles étaient effrayées de participer à ce repas salutaire comme si elles y mangeaient la mort. »

Ce souci des simples fidèles est inséparable de ce qu’on perçoit comme sa hargne envers ceux qui leur cachent le véritable Évangile et le vrai Dieu. On trouve à propos du purgatoire (art 57) : « J’espère donc que, par la forte parole de Dieu, leur deuxième vache à lait est retirée aux papistes. Car, de la détresse des âmes dont ils ont imaginé qu’elles sont tourmentées dans le purgatoire, ils ont retiré tellement d’argent qu’on ne peut l’évaluer. L’hypocrisie peut donc trouver de la joie et de l’utilité dans la détresse et la souffrance d’autres gens. S’ils savent que les âmes souffrent d’une telle détresse, quels grands gredins sont-ils donc pour ne pas vouloir faire leur travail si on ne leur donne pas un salaire ? » Et dans l’article 20 on lit : « Mais vous, papistes qui haïssez la vérité, vous poursuivez votre chemin et vous nous faites de lui un tyran, si hostile, inflexible et cruel que personne n’oserait venir à lui sans un médiateur… Nous en sommes venus à mettre notre confiance en la créature et faisons ressembler le créateur à un tyran. »

Ses attaques, nombreuses, variées et souvent savoureuses sont dirigées contre l’autorité des Pères, les évêques, les moniales et les nonnes, les prêtres, les « moustiques sophistes », ou les théologiens ! Son style peut être caustique, et son langage parfois cru, comme quand il parle des « prêtres putassiers ». Il est bien sûr aussi pédagogique, impliquant le lecteur « ô brave chrétien », « ô frère insensé », présentant souvent ses arguments sous forme de dialogue « tu dis », « je te donne maintenant ma réponse ». Mais son ton se fait aussi recueilli et l’article 41 nous offre même une véritable et longue prière « Donne à ton pauvre peuple de bons bergers… »

Bien sûr, son style, et non son propos seulement, est aussi celui d’un théologien. On trouvera par exemple dans l’article 18 une argumentation implacable à propos de la confession (p. 148).

Pour finir, il faut dire la véritable joie que la lecture de ce texte procure. C’est un plaisir de lire une belle traduction et une vraie joie intellectuelle d’être confronté aux idées de Zwingli. C’est enfin et surtout revigorant et salutaire d’entendre prêcher avec force ce Dieu consolateur et libérateur.

« Que Dieu tourne toutes choses pour le mieux ; car c’est à lui seul que je crierai ma détresse ; car je sais qu’il m’écoute. C’est tout pour cet article. » (article 20)

Huldrych Zwingli, Les 67 thèses réformatrices et leurs commentaires, Genève, Labor et Fides, 2021, 448 pages.

 

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À propos Mariepierre Bassac

mariepierrebassac@evangile-et-liberte.net'
a enseigné l’anglais en lycée pendant 40 ans. Elle est passionnée par la théologie protestante depuis son adolescence.

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