Lire ou construire le texte

Il n’y a plus aujourd’hui d’exégèse confessionnelle, tout simplement parce que la structure de la recherche a créé une unité qui réunit aussi bien les différents courants chrétiens que l’exégèse juive. Du reste, personne ne serait d’accord sur ce qui ferait une “exégèse catholique” ou une “exégèse protestante”. Bien sûr, la confession joue dans l’interprétation des textes. Mais le travail exégétique consiste justement à se méfier de ces biais — sans vraiment espérer pouvoir s’en débarrasser. J’irai jusqu’à dire que les différences entre les rapports au texte ne peuvent pas être énoncées ou au moins systématisées. Aucun critère objectif ne se distingue. On pourrait penser que le canon offrirait une solution pratique, mais aujourd’hui, protestants comme catholiques étudient tout autant le livre d’Enoch, qui n’est reconnu comme canon ni par les uns ni par les autres. C’est en quelque sorte avant et après l’exégèse que les distinctions confessionnelles demeurent.

Cela vient à mon sens de ce que le texte biblique n’est pas un donné, mais quelque chose de construit. Nous ne sommes en ce sens pas contraints par le texte, tout simplement parce qu’il nous échappe par tous les côtés ; le travail consiste justement à chercher le texte avant même de l’interpréter. Cette recherche du texte est aussi une libération — on tient là une intuition protestante qui a été reprise par le catholicisme. Construire la Bible, c’est se libérer de nos autres constructions. Bien sûr, la construction du texte va aussi produire de nouveaux assujettissements ; on pourrait même dire que la recherche du texte est un apprentissage perpétuel de tout ce qui — dans le monde ou par le poids de l’histoire — nous domine et nous rattrape toujours. Mais ce n’est pas une simple compréhension passive de nos servitudes ; chaque nouvelle découverte nous permet de changer nos comportements et peut avoir une portée libératrice — on peut citer comme exemple le changement de statut des femmes en dix ou quinze siècles de lectures.

Ce texte est issu d’un entretien accordé à Adrien Duclos

Pour faire un don, suivez ce lien