Pendant quelques jours la fameuse perspective des Champs-Élysées parisiens, remontant l’avenue éponyme jusqu’à l’Arc de triomphe a buté sur une masse compacte et grisâtre prise dans une large résille rouge. L’Arc de triomphe emballé par Christo.
Le souvenir encore très présent de l’émotion qu’avait provoquée en moi l’emballage, toujours parisien, du Pont-Neuf en 1985, m’a poussée à aller voir cette nouvelle réalisation artistique. Ma première impression fut très banale, certainement il m’a manqué la fraîcheur ou la spontanéité que j’avais il y a plus de 35 ans. Ce monument si connu, si reconnu, qui incarne des pans de l’histoire de France et du monde, avait perdu subitement ses formes et du même coup sa symbolique. L’Arc de triomphe n’était plus un arc ni un triomphe, sa nouvelle silhouette grise et empâtée ne se détachait pas du ciel parisien tout aussi gris.
Il m’a fallu du temps pour accepter que ce célèbre édifice puisse me dire autre chose que ce que j’attendais de lui et autrement que ce que j’avais toujours vu. L’Histoire n’est après tout pas gravée dans la pierre (même si certaines histoires le sont) mais toujours appelée à se renouveler, à se construire. Une toile d’opacité nous sépare d’elle, plus ou moins flottante, comme celle qui enveloppe l’Arc de triomphe et lui donne une nouvelle surface lisse, légère et ondoyante dans le souffle du vent. Avec ce mouvement, un espace s’est ouvert pour me dire que dans ce monument d’Histoire je pouvais entrer, m’y faire une place et y vivre mon histoire. Mais des cordes rouges traversent cette immensité grise comme si les blessures de l’Histoire n’avaient pu rester calfeutrées derrière la toile et ressortaient comme autant d’hémorragies criantes.
Quelques jours après, la grande mue allait commencer. La peau éphémère, un instant apposée sur le monument pour lui donner une autre identité, un autre rôle, serait retirée et partirait au recyclage pour une autre histoire. Quelles traces, quelles cicatrices, resteront sur la pierre, sur son symbole, sur ma façon de les voir ?
Pour faire un don, suivez ce lien