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Un féminisme issu du Coran

 

En Europe et tout particulièrement en France, l’image de la femme musulmane se réduit trop souvent à la seule question du foulard, symbole de la soumission si ce n’est de l’asservissement, considérés comme inhérents à l’islam.

Quelques figures emblématiques de « femmes imams » émergent de ce morne paysage : Shirin Kahnkahn au Danemark, Kahina Bahloul ou Eva Janadin en France. La première est issue d’une famille turcodanoise, la seconde franco-algérienne. Ces femmes « marginales » se revendiquent d’une nouvelle lecture du Coran. Mais sont-elles les figures d’un féminisme islamique s’emparant du référentiel coranique pour lutter contre le patriarcat ou celles d’un véritable renouveau dans l’islam dont les femmes seraient à la fois le ferment et le vecteur ?

 Des mouvements divers

Dans le monde musulman, des luttes « féministes » existent qui sont indissociables de la réflexion théologique. En Indonésie, des mouvements féminins existent de longue date et fondent leur plaidoyer en faveur des femmes sur les sciences religieuses pour l’apprentissage desquelles elles ont créé des universités. En Malaisie, des femmes regroupées dans un vaste mouvement, aux ramifications internationales, « Sisters in Islam » luttent depuis une trentaine d’années pour la reconnaissance constitutionnelle de l’égalité hommes femmes et leur place dans les instances religieuses. Leur combat s’appuie sur le tafsir, la science traditionnelle du commentaire. Au travers du mouvement Musawah (équité en arabe) créé par des femmes, elles portent le combat pour l’égalité et la justice dans la famille musulmane, s’appuyant à la fois sur les sciences religieuses et le droit international au travers de la Convention internationale de lutte pour l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes. De même au Maghreb, réflexion théologique et revendications féministes s’entremêlent dans un même mouvement, le patriarcat se nourrissant d’une interprétation archaïque des textes sacrés ou prétendument tels. Dans une société où le religieux imprègne la totalité de la vie et où islam et appartenance à la communauté nationale sont indissociables, il est impossible d’aborder la réflexion théologique en faisant l’économie des avancées politiques qui concernent les femmes.

 L’exemple du Maroc

À cet égard, le Maroc, où quelques réformes ou gestes politiques spectaculaires ne sont pas parvenus à ébranler un patriarcat dominant, est exemplaire et emblématique des contradictions et résistances des sociétés musulmanes. Certes, depuis 2004, le principe de l’égalité hommes femmes a été reconnu à l’occasion de la réforme de la moudawana (le code de la famille) qui accorde la même responsabilité aux deux époux dans la gestion de la famille. Cela a fait l’objet d’une âpre bataille ! Ce principe d’égalité a encore été renforcé par la Constitution du 1er juillet 2011, quand bien même il y est précisé que les droits accordés s’exercent « dans le respect des constantes et des lois du Royaume », c’est-à-dire du référentiel islamique, au risque des contradictions qui peuvent naître de son interprétation. Par ailleurs, depuis sa création en 2006, les femmes peuvent accéder à l’Institut de formation des imams pour devenir mourchidat, une fonction religieuse qui néanmoins ne les autorise pas, conformément à la tradition, à diriger la prière. Cela n’a pas empêché une femme, Nuzha Najji Mekkaoui, professeur de droit, docteur en sciences islamiques et actuellement ambassadeur au Vatican, d’être la première femme invitée récemment à animer une lecture coranique devant le roi à l’occasion du Ramadan.

Les femmes ont également leur place au sein de la Rabita Mohammedia des Oulemas, organe public créé en 2006, dont la mission est de promouvoir un islam tolérant et ouvert. Elles y assurent la direction du Centre de recherche et de formation des études interreligieuses, mais aussi du Centre d’études et de recherches féminines en islam, confié plusieurs années à Asma Lamrabet, théologienne reconnue internationalement, quand bien même son message n’est pas toujours bien reçu dans son propre pays. Il est vrai que rompant avec la tradition, sa théologie se fonde sur l’ijthihad, interprétation personnelle des textes sacrés à partir d’une lecture historico-critique du Coran dont elle pointe le caractère novateur à l’époque de sa révélation, rappelant qu’il s’adresse à l’être humain (insan) sans distinction de sexe. À partir d’une lecture « féminine » du Coran, qu’elle considère seul comme sacré, elle souligne le rôle des femmes tel qu’il apparaît dans la Sunna, (à la fois recueil des paroles du prophète et récit de sa vie), y puisant des exemples et des modèles qu’elle recontextualise dans la société de la Péninsule Arabique du VIIe siècle. Elle insiste sur l’indispensable distinction à faire entre le texte coranique lui-même, seul texte sacré et le fiqh (droit et jurisprudence islamiques découlant de l’interprétation par les oulémas, docteurs de la loi, du Coran et de la Sunna), élaboré au IXème siècle et qui régit encore à ce jour le statut patriarcal et discriminatoire de la femme en pays musulman. Tenir les deux au même plan aboutit à une impasse, du fait de la dichotomie entre cette codification religieuse et l’évolution des sociétés musulmanes. La question de l’héritage des femmes –là où l’homme hérite d’une part, la femme hérite d’une demi-part– est emblématique : tous les musulmans traditionalistes dans le monde s’arcboutent sur cette question, au mépris du droit objectif (constitution et lois) qui reconnaît l’égalité hommes femmes.

Un féminisme religieux À la différence des féministes occidentales, ces nouvelles théologiennes musulmanes, dont Asma Lamrabet fait partie, se réclament d’un féminisme dans un cadre explicitement religieux, de et par l’islam, au nom du Coran. À leurs yeux, celui-ci porte un message émancipateur et égalitaire qui constitue une voie d’accès aux principes universels de dignité, d’égalité et d’émancipation. Néanmoins, Asma Lamrabet est convaincue, comme l’était la grande sociologue Fatima Mernissi (décédée en 2015 et dont le travail dans les années 1970/1980 a inspiré le mouvement d’émancipation des femmes au Maroc) que la sortie de l’islamisme et de ses dérives passe nécessairement par la réforme des régimes politiques dans la voie de l’égalité et de la démocratie. La révolution théologique est indissociable d’une révolution politique.

 

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À propos Micheline Bochet-Le Milon

a été avocate pendant 30 ans. Elle a vécu au Maroc pendant 10 ans et à cette occasion a suivi les enseignements de l’institut AL Mouwafaqa où elle a obtenu un certificat de dialogue interreligieux ; durant ce séjour, elle a été administrateur de l’association GADEM (groupe d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants). Aujourd’hui, elle est bénévole à la CIMADE.

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