Accueil / Journal / Prêcher partout, tout le temps

Prêcher partout, tout le temps

 

Alexandria Ocasio-Cortez, Représentante démocrate de l’État de New York depuis les élections de 2018, est une figure incontournable de la politique aux États-Unis depuis 3 ans. Son parcours hors du commun participe à faire d’elle une icône pour certains : elle est née dans le Bronx, quartier pauvre de New York, et a dû interrompre des études qu’elle menait avec succès pour subvenir à ses besoins en devenant serveuse. Comme son nom l’indique, elle est originaire d’une famille hispanophone, et sa mère est portoricaine, ce qui fait d’elle une femme « issue des minorités » comme on dit pudiquement aujourd’hui. Et elle est devenue à 29 ans la plus jeune élue à la chambre des Représentants. Un autre élément qui contribue à faire d’elle une star de la politique (les magazines américains ont même été jusqu’à commenter son rouge à lèvres rouge vif) est son style : elle n’a pas la langue dans sa poche et détonne dans la classe politique.

On connaît surtout Alexandria Ocasio-Cortez pour ses orientations politiques : elle assume son socialisme, dans un pays où ce terme est quasi inaudible en politique. Il y est associé à l’asphyxie de l’économie, à la privation de libertés. Le socialisme aux États-Unis n’est pas perçu comme très différent du communisme. Pour différentes raisons, Alexandria Ocasio-Cortez suscite donc rarement l’indifférence, on l’admire ou on la trouve insupportable. Mais en février 2020, elle a donné à voir une tout autre facette de ses convictions en prenant la parole au cours d’une audition à la chambre des Représentants ayant pour thème les discriminations. Choquée par ce qu’elle entendait dans la bouche d’autoproclamés défenseurs de la liberté religieuse, elle a commencé son intervention en déclarant qu’elle hésitait à répondre en tant que législatrice ou en tant que « femme de foi ». Mais il est évident qu’elle a fini par prêcher.

Voici des extraits de sa déclaration : « Il est très difficile d’être assise ici et d’écouter des arguments, dans la longue histoire de ce pays d’utilisation de l’Écriture comme une arme, et de maltraitance de l’Écriture pour justifier l’intolérance. Les suprématistes blancs le font, ceux qui défendaient l’esclavage le faisaient, ceux qui se sont battus contre l’intégration l’ont fait et nous voyons cela aujourd’hui […] Je sais, et cela fait partie de ma foi, que toutes les personnes sont saintes. Et toutes les personnes sont sacrées. Inconditionnellement. Et c’est ce qui nous pousse parfois à nous transformer. Parce que c’est inconditionnel. Il ne s’agit pas pour nous d’aimer certaines personnes. Nous aimons toutes les personnes. Il n’y a rien de saint à intégrer les discriminations dans la loi. Et j’en ai assez que des communautés de croyants soient utilisées et soient injustement perçues parce que les seules fois où la liberté religieuse est invoquée, c’est au nom de l’intolérance et de la discrimination. J’en ai assez. Ma foi me commande de traiter M. Minton [son interlocuteur avec qui elle est en désaccord] comme quelqu’un de saint, parce qu’il est sacré, parce que sa vie est sacrée. Parce qu’on ne doit rien vous refuser à quoi moi j’aurais droit […] Il ne nous appartient pas de refuser l’assistance médicale à quelqu’un. Il nous appartient de nourrir celui qui a faim, d’habiller le pauvre, de protéger l’enfant et d’aimer les autres comme nous-même. »

Si cette intervention mérite d’être évoquée, c’est, à mon sens, pour deux raisons. D’abord, Alexandria Ocasio-Cortez a raison et son propos ne vaut pas uniquement pour les États-Unis. Trop souvent, lorsque la foi ou la religion est utilisée dans le débat public, c’est pour exclure, condamner. Bible, Coran, Torah en main, on défend des discriminations, on prononce des condamnations sur la vie privée de personnes adultes, on refuse des postes à des femmes, on insulte l’image de Dieu. La foi devrait nous amener à considérer que chacun est saint, que chaque vie est sacrée et que rabaisser un être humain est une offense faite à notre Dieu lui-même. Imaginer et prétendre avoir Dieu de son côté lorsque l’on humilie, lorsque l’on discrimine, lorsque l’on juge une personne indigne d’une fonction en raison de son sexe, c’est non seulement être incroyablement prétentieux mais surtout cracher au visage du Dieu qui lève les yeux vers chacun.

L’autre raison qui fait que cette intervention mérite d’être largement partagée, c’est qu’elle est la preuve que chacun, n’importe où et n’importe quand, peut prêcher. N’attendez pas qu’un pasteur le fasse à votre place le dimanche matin en chaire. Être témoin de la merveille qu’est notre Dieu et du bien qu’il dispense n’est pas réservé à certaines occasions. De toute évidence, la foi a poussé cette femme à proclamer l’Évangile à un moment où cela n’était pas prévu. Tendez les oreilles, ouvrez les yeux. Dieu est partout : dans des œuvres musicales, dans des livres, dans des moments de grâce, et parfois aussi dans les paroles d’une jeune femme politique dont les convictions sont aux antipodes des vôtres.

 

Don

Pour faire un don, suivez ce lien

À propos Abigaïl Bassac

est titulaire d’un master de l’École Pratique des Hautes Études (section des sciences religieuses) et étudiante en master de théologie à Genève. Elle est assistante des enseignants à l’Institut Protestant de Théologie et directrice de la rédaction d’Évangile et liberté.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur Évangile et Liberté

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading