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Gare au choix des mots

 

Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde » écrivait Albert Camus. Dès le début de l’épidémie de Covid-19 en mars 2020 nos gouvernants, qui maîtrisent pourtant parfaitement le français, ont utilisé sans aucune raison des barbarismes incroyables compte tenu de la richesse de notre langue.

Ainsi sont apparues les expressions de « distanciation sociale » au lieu de « distanciation physique » et de « gestes barrières » au lieu de « gestes sanitaires ou de précaution », sans oublier le message ressassé jusqu’en décembre dernier : « si vous aimez vos proches, ne vous approchez pas d’eux ».

Le choix des mots a son importance. Distanciation « sociale » signifie en bon français se tenir à l’écart des autres pour des raisons globales et non pas simplement sanitaires. Et « barrière » signifie un obstacle que l’on dresse face à l’autre induisant là aussi une défiance plutôt qu’une protection interactive. Il en est de même pour la consigne donnée en novlangue digne du roman 1984 de ne pas s’approcher de ses proches. Bref, la puissance publique nous a enfermés dans une logique individualiste fondée sur la peur de l’autre.

À cela il convient d’ajouter le fameux « présentiel » au lieu de « sur place », et « distanciel » au lieu de « à distance ». Ces néologismes tellement à la mode se sont doublés de surcroît de pléonasmes prouvant ainsi leur inutilité et leur aberration. Ainsi, on assiste aux cours dans les établissements scolaires (ou au culte au temple) en présentiel, on tient des réunions de travail (ou de conseil presbytéral) en visioconférence en distanciel, etc. Mais le problème est surtout que le « distanciel », même inutile dans des espaces habituels suffisamment grands et bien aérés, tient la corde et que le pli risque d’être pris définitivement au sortir de la pandémie. Or en visioconférence, pas de regards échangés au même moment entre tous, pas de gestes visibles simultanément par tous, pas de véritables réactions collectives, pas de détection possible de la baisse de l’attention du groupe, pas de discussions informelles avant ou après la réunion virtuelle.

Nous sommes des êtres sociaux d’esprit et de chair. Alors prenons garde au monde virtuel et désincarné dans lequel le sens des mots et des contacts humains serait perdu !

 

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À propos Philippe Vollot

Prédicateur laïque de l’Eglise Protestante Unie, Philippe Vollot 15, bien que retraité du ministère de l’Intérieur depuis 2015, conserve des responsabilités syndicales dans les différents secteurs de cette administration (préfectures, Police nationale) et est en contact notamment avec la Ligue des Droits de l’Homme et le Syndicat de la Magistrature.

Un commentaire

  1. jeanfrancois.beth@gmail.com'
    Jean-François BETH

    Nous pourrions aussi ajouter cette qualification malheureuse de « non-essentiel ». La société n’était pas prête à risquer la transmission du virus par l’exercice de certaines activités. D’autres ne pouvaient s’arrêter et transmettaient le virus (se nourrir, par exemple). Cette qualification laissait entendre que les activités sorties de la liste des « essentiels » étaient inutiles voire néfastes. C’est ainsi qu’on a perdu l’adhésion de nombre de citoyens. A cause d’un mot.

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