L’adage qui veut que ce qui se passe aux États-Unis arrive en France quatre ans plus tard a de quoi nous inquiéter à la lecture du livre d’André Gagné.
Certes, Trump a perdu les dernières élections mais le courant religieux qui le percevait comme le nouveau Cyrus, lui, ne meurt pas avec cette défaite. À travers cette étude sur le mouvement charismatique états-unien, nous faisons une plongée dans un monde effrayant de religiosité conquérante. Plus qu’un autre monde, c’est un univers religieux terrifiant qui n’a plus grand-chose à voir avec le protestantisme si ce n’est la référence à la Bible. Bible qui est lue, ici, pour justifier la conquête du pouvoir en se fondant sur les doctrines du « combat spirituel » et de la fin des temps. Lors de la dernière élection américaine, nous avons pu voir, dans l’interminable arrivée des résultats, la surréaliste prière de Paula White-Cain, conseillère spirituelle de Donald Trump, qui se livre à des « prières de combat » contre les forces démoniaques qui s’acharneraient contre le président Trump par le biais des Démocrates. « Toute entrave à Trump et à l’avancée du programme de transformation sociale (tel que le conçoivent les charismatiques) est comprise en termes de combat spirituel. » Mais pour cette frange des évangéliques, il ne s’agit pas seulement de mener une lutte spirituelle, il s’agit surtout de lutter contre une seconde guerre civile américaine.
Ce qui peut nous sembler le plus surprenant, en voyant le personnage même de Trump, c’est qu’on peut s’accorder pour dire que rien chez lui ne semble compatible avec une quelconque pensée chrétienne. Mais pour ces évangéliques, il n’est qu’un instrument de Dieu à l’image de l’empereur perse Cyrus. Et comme le souligne l’auteur, « l’idée que Donald Trump soit le nouveau Cyrus s’inscrit dans une théologie du pouvoir politique. L’élection de Trump est instrumentalisée en faveur des intérêts de ces charismatiques qui visent à transformer la société à leur image. »
André Gagné nous offre une analyse de la théologie dominioniste (idée selon laquelle les chrétiens sont appelés par Dieu à exercer leur autorité sur tous les aspects de la société) qui se fonde sur le concept de la conquête des « Sept Montagnes » de la culture. C’est sans doute la partie la plus passionnante de l’ouvrage. Ces sphères culturelles doivent être occupées pour que s’accomplisse une transformation sociale. « La montagne de la religion » : l’Église doit annoncer l’Évangile et œuvrer à l’établissement du Royaume de Dieu. « La montagne de l’éducation » dans laquelle il faut impérativement réintroduire les valeurs de la Bible comme vérités. « La montagne de l’économie » : les chrétiens sont encouragés à s’investir, avec l’idée que cela est assorti d’une promesse de prospérité économique. « La montagne de la politique » : les chrétiens sont invités à s’engager pour être influents dans les décisions politiques. Il faut occuper « la montagne des arts et spectacles » afin d’avoir un impact sur les jeunes qui sauront mettre leurs talents au service du Royaume de Dieu et « la montagne des médias » pour abolir les fausses nouvelles. Et enfin occuper « la montagne de la famille », où il s’agit de promouvoir un retour au modèle traditionnel qui s’accompagne de l’opposition au droit à l’avortement, à l’euthanasie et aux droits des minorités.
Avec cette étude du mouvement charismatique américain et de sa politique de conquête, nous découvrons ce qui est déjà sur le chemin de l’Europe et qui pourrait bien ébranler nos démocraties libérales. Il est toujours utile de connaître la menace qui arrive.
André Gagné, Ces évangéliques derrière Trump, Genève, Labor et Fides, 2020, 168 pages.
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