Le protestantisme a beaucoup souligné l’importance de la personne individuelle. C’est à elle que Dieu s’adresse et c’est elle qui lui répond. La rencontre avec Dieu se fait à son niveau et non à celui du collectif, du global ou du général. « C’est une erreur commune et grave, déclare Ralph Waldo Emerson (1803-1882),… que de penser que Dieu parle à la race humaine, ou au peuple juif, ou à l’Église chrétienne au lieu de penser qu’il parle à chaque être humain individuellement ».
La véritable religion n’est pas affaire d’institution, de communauté, de rite et de consensus ecclésiaux. Elle est une affaire personnelle. « L’évangile, écrit Alexandre Vinet (1797-1847), s’adresse à l’individu… à vous… à moi… à chacun… aucun être collectif ne s’interpose entre lui et Dieu… c’est de lui-même et de lui seul qu’il est question ». Aussi, alors que le catholicisme insiste souvent sur la « foi de l’Église », le protestantisme parle plutôt de « foi personnelle ».
Cet individualisme, on nous l’a reproché. Le « sens de l’Église » nous manquerait. Selon Jacques Maritain (1882-1973), là réside l’erreur fondamentale de Luther. Au lieu d’effacer son ego, comme un bon moine le doit, et de se soumettre aux autorités ecclésiales avec confiance et obéissance, il a érigé en valeur suprême sa conviction personnelle. Du coup, il a brisé la communauté chrétienne.
Toute critique, même si on ne l’approuve pas, mérite d’être écoutée ; elle signale souvent des faiblesses ou des dangers. Dans les pages qui suivent, Pierre Gisel souligne à la fois le caractère irréductible de l’individu et la nécessité de ne pas l’isoler. Le fondre dans un ensemble où il perdrait sa singularité et sa liberté serait idolâtrer la communauté. L’Église n’est ni la valeur suprême ni un but en soi ; elle est un outil au service de Dieu qui la dépasse, et au service du croyant qu’elle aide sans le régenter.
À l’inverse, on ne peut pas séparer la personne individuelle de ce qui l’entoure et la porte. La Bible nous appelle à aimer Dieu et à aimer notre prochain. La transcendance (Dieu) déborde le communautaire (le prochain) sans le supprimer ni l’ignorer. Quand on réprime l’individu au nom de la communauté, on oublie que la foi est fondamentalement un tête-à-tête entre Dieu et l’âme. Quand on rejette la communauté, on oublie que la religion nous enracine dans une histoire, nous lie avec autrui et nous insère dans des réseaux. S’il faut en tenir compte, on doit maintenir le primat de l’individu pour empêcher la communauté d’asservir les personnes, ce qui reviendrait à nier la transcendance, celle de Dieu et celle de l’homme.
Les analyses de Pierre Gisel montrent que ce problème, fondamental dans le domaine du religieux, se pose également dans la sphère socio-politique où articuler la liberté du citoyen avec le bien commun ne va pas de soi, mais est essentiel.
À lire l’article de Pierre Gisel » L’individu doit-il s’effacer devant la communauté ? «
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