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Les sages-femmes font des miracles

 

Les théologiens (que nous sommes tous appelés à être) peuvent penser théologiquement tous les sujets qui concernent les êtres humains. Pensons-nous suffisamment les miracles ? Non pas ceux racontés par la Bible (ils sont abondamment traités), mais ceux qui se produisent sous nos yeux ici et maintenant : par exemple, celui de la naissance et ceux, nombreux, des sages-femmes. On dit avec raison que la naissance d’un nouveau-né est un miracle. Un miracle, tel que Friedrich D.E. Schleiermacher (1768-1834) le comprend et l’explique dans ses Discours sur la religion, c’est « le nom religieux d’un événement ». La sage-femme Anna Roy dit à propos de la naissance dans le podcast qu’elle consacre à ce sujet (intitulé « Sage-Meuf ») qu’elle est « la plus grande des déflagrations » qui puisse exister dans une vie humaine. Les sages-femmes sont au plus près des femmes lorsque cet événement vient bouleverser leur vie et elles pratiquent leur art en accomplissant, souvent, des miracles.

 Elles sauvent des vies

C’est l’évidence même : les sages-femmes contribuent à sauver des vies dans les maternités lorsqu’une urgence survient lors d’une naissance. Mais leur dévouement pour la vie ne s’arrête pas là. Songez au refus opposé par les sages-femmes des Hébreux à l’ordre du Pharaon dans le livre de l’Exode. « Quand vous accoucherez les femmes des Hébreux et que vous les verrez sur les sièges, si c’est un garçon, faites-le mourir ; si c’est une fille, laissez-la vivre. Mais les sages-femmes craignirent Dieu, et ne firent point ce que leur avait dit le roi d’Égypte ; elles laissèrent vivre les enfants. » (Ex 1,16-17) Le texte ajoute : « Dieu fit du bien aux sages-femmes » (1,20).

Chantal Birman, sage-femme depuis plus de quarante-cinq ans, raconte dans un livre (Au monde, 2003) des moments où son pressentiment a permis de sauver la vie d’une femme ou d’un bébé. Une femme ayant dépassé son terme riait lors d’une consultation de contrôle. Parce que ce rire l’angoissait, parce qu’il était incongru dans cette situation que Chantal Birman connaissait bien, malgré tous les indicateurs rassurants (écographie, monitoring), elle décida de déclencher l’accouchement. Le bébé était en état de mort foetale apparente. Il a été réanimé. Le pressentiment de celle qui connaît la vie de manière intime et qui en a fait sa passion a sauvé cet enfant. La mort est présente à l’esprit des sages-femmes mais aussi des femmes qui accouchent. Au moment de donner la vie, la peur de la mort est à son paroxysme. Les femmes ont peur pour elles, pour leur enfant. Anne-Isabelle Boulogne-Munoz, sage-femme, raconte qu’il existe un « dogme » en obstétrique : si une femme vous dit qu’elle va mourir, il faut la croire. Les sages-femmes ont foi en la parole des femmes, c’est aussi grâce à cela qu’elles les sauvent. Face à une femme qui avait exprimé sa terreur de mourir d’une hémorragie dès l’annonce de sa grossesse et qui, lors de son accouchement, était en hémorragie de la délivrance sans aucune explication obstétricale, Chantal Birman s’est tenue droite, elle raconte avoir voulu que la femme, « perçoive notre détermination à refuser la mort ». Tous les actes obstétricaux possibles avaient été tentés. Ce qui a arrêté le saignement, c’est cette phrase qu’elle a adressée à la femme : « Tu ne vas pas y arriver. Pas avec nous. » Cet épisode aurait toute sa place dans un évangile.

Anna Roy, elle, raconte dans un de ses livres (Histoires de sage-femme, 2020) le sentiment d’inquiétude qui l’a envahie lorsqu’elle a ausculté une femme, en apparence pourtant en parfaite santé, quelques jours après la naissance de son premier enfant. Elle connaît les femmes qui viennent de mettre au monde un enfant. Cette femme avait besoin d’aide, elle en était persuadée. Prétextant vouloir contrôler une cicatrice qui n’avait pas du tout besoin d’être contrôlée, elle a pu revoir la femme. Et lors de ce second rendez-vous, en voyant l’attitude de sa patiente avec son mari, elle a compris. Elle a fait un examen médical non nécessaire pour découvrir les hématomes qu’elle suspectait. Après avoir gagné la confiance de cette femme, elle l’a accompagnée au commissariat pour porter plainte et l’a aidée à fuir la violence qui, un jour ou l’autre, l’aurait totalement détruite. La foi de cette femme en sa sage-femme l’a sauvée.

 Elles sont « Premier ministre de Dieu »

Le métier des sages-femmes, c’est la vie. Elles sont donc confrontées à la mort, et elles n’en ont pas peur. Anna Roy raconte une de ses gardes, au cours de laquelle une femme enceinte de 4 mois et demi est venue consulter pour des douleurs. Malheureusement, la femme faisait une fausse couche tardive. Le bébé qui allait naître ne pourrait, en l’état actuel des capacités de la médecine, être réanimé. Les parents, dévastés, ont pu compter sur le soutien de leur sage-femme. Lorsque le bébé est né, conformément à leur souhait et contrairement aux procédures courantes des maternités, Anna Roy l’a confié encore vivant à ses parents et c’est dans les bras de sa mère que cette petite fille s’est éteinte. Ces parents étaient des chrétiens pour qui le baptême de cette enfant était d’une grande importance. Avant que le souffle ait quitté l’enfant, ils ont demandé à Anna Roy de la baptiser. Elle a pris de l’eau et en la déposant sur son front, lui a dit : « Anne, je te baptise, au nom du Père, du Fils, et du Saint Esprit. » Face à la douleur insoutenable que la mort allait faire subir à ces parents, Anna Roy a été, dans son habit de sage-femme, témoin de l’appartenance de cette petite fille au monde des vivants, ici et maintenant. Plusieurs semaines après, les parents ont écrit une lettre de remerciements à leur sage-femme, avec, comme en-tête : « À Madame le Premier Ministre de Dieu, chère Anna ». En acceptant de baptiser un être humain dont les minutes étaient comptées, Anna Roy a été, de facto, Ministre de Dieu, elle a affirmé l’importance de la vie de cet enfant, et incarné l’amour de la vie.

 Elles sont gardiennes de brebis

Un pasteur, d’un point de vue étymologique, c’est celui qui fait paître les brebis. Celui qui prend soin d’elles, donc. Les sages-femmes sont des pasteurs en ce sens qu’elles prennent soin des femmes et de leurs nouveau-nés. Elles détectent les dépressions du post-partum, les burn-out maternels, les souffrances physiques, psychiques, elles sont là dans les situations douloureuses, les fausses couches, elles entendent la joie, bien sûr, mais aussi les doutes, la culpabilité, les angoisses qui arrivent en même temps qu’un bébé. Dans l’immense majorité des cas, les femmes qui parlent dans de leur sage-femme le font en des termes élogieux : elles savent écouter, elles considèrent la personne dans son intégralité, on peut tout leur dire, elles sont dévouées, ne comptent pas leurs heures. On dirait des paroissiens parlant de leur pasteur. Les sages-femmes répondent à un appel, à une vocation. Leur art, c’est au quotidien de prendre soin des femmes et d’offrir aux nouveau-nés des mères qui se sentent mieux. Elles ont une passion pour la vie qui la fait s’accroître autour d’elles.

 Une femme, une sage-femme

Toute femme qui se rend dans une maternité pour accoucher devrait avoir à ses côtés une sage-femme qui ne la quittera pas. L’accouchement fait vivre aux femmes des émotions et des sensations qui nécessitent un soutien, non pas parce qu’elles seraient fragiles, mais parce qu’à ce moment-là, tout en étant fortes, elles sont vulnérables. Des dépressions du post-partum (20 % des jeunes mères environ en souffrent), voire des syndromes de stress post-traumatique prennent racine dans certains éléments de l’accouchement (même une phrase prononcée par un médecin peut entraîner chez la femme une peur d’être proche de la mort). Si chaque femme qui met au monde un nouvel être humain pouvait être assistée d’une sage-femme en permanence, la naissance se déroulerait mieux. Qu’y a-t-il de plus important pour un humain qu’une naissance ? La manière dont nous entourons les femmes qui accouchent et dont nous accueillons les nouveau-nés en dit long sur le fait que nous chérissons, ou non, ce miracle répété. Au-delà du fait que les sous-effectifs de sages-femmes dans les maternités peuvent faire courir un danger (réel, non fantasmé) aux femmes et à leurs bébés, ils devraient nous préoccuper théologiquement : est-il acceptable que des femmes se retrouvent régulièrement seules pour mettre au monde et accueillir un nouvel être humain parce que toutes les sages-femmes sont déjà occupées ? N’avons-nous pas en tête une femme, rejetée, qui a dû mettre au monde son enfant dans une étable ? On entend souvent parler des conditions « dignes » pour les mourants, occupons-nous aussi de celles dans lesquelles arrive la vie. La naissance est un miracle, traitons-le comme tel.

Anna Roy a demandé récemment que les effectifs de sages-femmes soient revus à la hausse afin que, comme dans d’autres pays, les femmes puissent avoir à leurs côtés une sage-femme tout au long de leur accouchement.

Il est possible de signer la pétition ici : https://www. change.org/p/olivier-v%C3%A9ran-permettons-auxfemmes-d-accoucher-humainement-une-femme-une-sage-femme

 

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À propos Abigaïl Bassac

est titulaire d’un master de l’École Pratique des Hautes Études (section des sciences religieuses) et étudiante en master de théologie à Genève. Elle est assistante des enseignants à l’Institut Protestant de Théologie et directrice de la rédaction d’Évangile et liberté.

Un commentaire

  1. jeepeehell22@orange.fr'

    C’est un très joli texte, qui oublie néanmoins que les SF ne sont pas seules à accomplir/dispenser ces types de soins: Il y a aussi des gynécologues Obstétriciens qui « sauvent des vies », ne serait-ce que pour les césariennes (qui sauvent à la fois la mère et l’enfant), et de nombreux généralistes qui accompagnent la vie de leurs patientes (et de leurs petits) y compris dans ses dimensions « gynécologiques »;
    il oublie aussi que, comme les professionnels cités, les SF peuvnet aider au « choix de vie » que représentent les divers moyens de contraception ainsi que (en France au moins ) certaines formes d’IVG.
    Bref plusieurs cercles de compétence qui se recouvrent.

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