Mon pauvre… mon paradis !

Vous n’auriez pas une pièce de dix centimes d’euros ? S’il vous plaît, j’ai faim ! »

Au-delà de la distanciation sociale imposée qui nous rend méfiants malgré nous, je me suis laissé saisir par cette supplication d’un « pauvre » qui attend devant la boulangerie où j’allais chercher, avec mon fils, notre pain quotidien. Pourtant, ce n’est pas la première fois que je croise un être humain qui réclame de l’argent ou de quoi manger. D’habitude, comme la plupart des passants, je hoche la tête d’un « non » machinal sans reconnaître cette humanité et son besoin vital. Comme chacun, je me donne une foule d’excuses : il y a trop de pauvres, il vaut mieux donner au CASP ou à l’entraide, ils sauront mieux à quels pauvres il faut donner… il va s’en servir pour boire ou se droguer… j’ai des enfants à nourrir et je bosse dur pour cela… il m’importune !

Aujourd’hui, c’est peut-être l’incongruité de la faible somme sollicitée qui m’a saisi… Je me suis projeté un instant à la place de cet homme osant faire la manche. Première appréhension : à sa place, qu’est-ce qui me retiendrait à une vie aussi misérable, sans apparemment le moindre sens, presque inutile ? Le désir de survivre ? Une faible lueur intérieure qui me dit de ne pas lâcher ? La rage de vivre et de se dire que demain sera meilleur ? Un être cher qui m’attend et qui espère en moi ? Peut-être tout cela à la fois. Peut-être rien de cela. Juste l’étincelle de vie qui ne veut pas s’éteindre, avec espoir. Quel espoir ? Il n’a rien mais il est vivant.

J’ai soudain pensé à la parabole de la syrophénicienne (Mc 7, 24-30) qui s’est contentée des miettes des enfants sous la table. Alors j’ai donné ma baguette à « mon » pauvre en sortant de la boulangerie. Nous avons partagé un sourire, lui reconnaissant, moi gratifié. Mon fils, ayant vu l’échange de sourire, a conclu cet épisode d’une sentence innocente : « Le paradis n’est donc pas un havre d’abondance, mais bien plutôt un havre de partage, si j’ai bien compris… ». Il a tout compris !

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