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La Bible et les Comics

 

À Neuchâtel, en Suisse, a lieu début juillet le Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF) qui fut au début des années 2000 une référence en son genre. Je me saisis de ce festival comme prétexte pour explorer les liens qui peuvent unir la théologie et la culture geek, anglicisme qui regroupe les passionnés des cultures de l’imaginaire.

Une voie facile serait de n’y voir qu’une immaturité, un refus d’entrer pleinement dans le monde adulte. Pour ma part, j’y vois avant tout une immense curiosité intellectuelle, une affiliation où la communauté scientifique est d’ailleurs plus que largement représentée. Pendant longtemps, la culture geek est restée confidentielle, mais elle a aujourd’hui acquis une large audience, à travers la révolution numérique qu’a connue le cinéma au cours de ces deux dernières décennies.

Ce récent élargissement d’audience – ainsi que la profondeur véritablement philosophique qui a toujours habité les questionnements de cette subculture – me conduit à tenter d’ébaucher une notion de Geek Theology. Un peu à la manière de Mark Alizart dans sa Pop Théologie (2015) et dans le sillage de l’intérêt philosophique pour la culture populaire, initié par Gilles Deleuze. Il y a là une possibilité pour la théologie de se faire connaître d’un public qui habituellement l’ignore, grâce au fantastique qui doit rentrer pleinement en dialogue avec ces cultures de l’imaginaire. Il s’agit de cultiver le goût du fantastique pour ensuite laisser venir à nous naturellement les interprétations qui en sont faites. Là est même l’occasion de découvrir la théologie dans toute sa diversité ! Prenons quelques exemples pour illustrer mon propos et alimenter notre réflexion. En premier lieu, le surnaturel. Sa présence dans la Bible est évidente. Mais ce qui l’est moins, au premier abord, c’est qu’il repose sur une forme de contradiction, car le surnaturel biblique a toujours comme substrat des événements purement climatiques ou naturels (le Déluge, les 10 plaies d’Égypte, la séparation de la Mer Rouge…). Comment ne pas penser alors à Tzvetan Todorov qui définit le fantastique comme « l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel ». Mais il ne suffit pas de relever que le surnaturel est à la fois présent dans la Bible et dans la science-fiction. Il est plus pertinent de voir que dans les deux cas, un message ou des messagers sont toujours associés au surnaturel. Dans la Bible, ce sont les anges qui font office de messagers célestes (ou aggelos en grec). Dans la science-fiction, des œuvres telles que 2001, L’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (1968) ou Rencontres du troisième type de Steven Spielberg (1977) sont jonchées d’entités (voire de monolithes) délivrant des messages énigmatiques aux hommes afin de les faire évoluer.

En deuxième lieu, les pouvoirs. Dans les Comics, il est même souvent question de « super-pouvoirs » ou plus largement de magie. La Bible comme la culture geek nous amènent à dépasser le simple constat de la présence de pouvoir pour questionner la légitimité de ce pouvoir et la relation qui existe entre celui qui le prodigue et celui qui le reçoit. En prenant conscience de ce rapport, un différentiel ontologique se crée entre celui dont la source du pouvoir est un soleil jaune (Superman) et celui qui déclare « Tout est possible à celui qui croit » (Marc 9, 23).

En troisième lieu, nous pourrions aussi évoquer les animaux. Le bestiaire biblique est de l’ordre du fabuleux ! Citons le Léviathan, Béhémoth ainsi que le gigantesque dragon rouge à sept têtes d’Apocalypse 12. Une force brute fascinante parce que représentante du chaos originel mais également une métaphore des puissances politiques, polysémie des emplois possibles. Voilà une perspective qui n’a pas échappé à JRR Tolkien (auteur de la trilogie du ï), cet habile joueur de l’élémentaire du mythe, que Claude Lévi-Strauss nommait le mythème.

Et pour en finir, tentons une mise en parallèle entre la Résurrection et la figure du zombie. Dans les deux cas : une énigme. Le corps du Ressuscité n’est pas exactement, biologiquement parlant, celui de Jésus de Nazareth. En Jean 20, il pénètre dans une pièce fermée et est doté d’une corporéité non usuelle. Le zombie revêt pour sa part, une dimension plus paradoxale : dans la pensée classique un corps a besoin pour se mouvoir d’une âme, c’est-à-dire d’une anima, un principe qui l’anime. Sans lui, le corps s’écroule. Or, le zombie conserve ses facultés motrices tout en étant dénué d’âme. Il est en ce sens le parangon de l’aliénation. Mais plus fondamentalement encore, la figure du zombie permet d’illustrer en tant que repoussoir ce qu’il y a de proprement extraordinaire dans la Résurrection : une transformation de la condition humaine par l’Incarnation. Le corps n’est pas condamné à une après-vie aliénante puisque qu’il a été capable de porter la divinité (pour reprendre l’heureuse expression d’Emmanuel Falque).

Voici quelques pistes qui se veulent l’ébauche d’une Geek Theology à venir…

 

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À propos Adrien Bridel

détenteur d’un master en histoire et philosophie est membre du Conseil synodal de l’Église Réformée Évangélique Neuchâteloise (EREN) en charge de la diaconie. En parallèle il suit une formation pédagogique.

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