1854. Berlioz vient de terminer un oratorio, L’Enfance du Christ, lorsqu’il met la dernière main à ses Mémoires où l’on peut lire : « Je n’ai pas besoin de dire que je fus élevé dans la foi catholique. Cette religion charmante, depuis qu’elle ne brûle plus personne, a fait mon bonheur pendant sept années entières ; et, bien que nous soyons brouillés ensemble depuis longtemps, j’en ai toujours conservé un souvenir fort tendre ». Dite avec humour, cette formulation déroutante a été bien comprise par Jacques Barzun, le premier grand biographe de Berlioz à le situer dans son temps, un siècle plus tard : « La contradiction entre la pensée hérétique et le sentiment religieux est un fait du siècle ».
Ce sentiment chrétien, néanmoins impropre à toute forme de culte, apparaît constamment dans ses partitions d’une manière ou d’une autre, que ce soit sa Grande Messe des morts ou l’inattendue conclusion de La Damnation de Faust : « Dans le Ciel », sans compter bien d’autres ouvrages. Il est frère ainsi de nombreux autres artistes du Romantisme, qu’ils soient musiciens, peintres ou poètes.
Mais dès lors qu’il s’agit de la musique, la question se pose en termes de regard historique sur le passé : doit-on se référer strictement au chant grégorien ou à la polyphonie sans accompagnement instrumental de Palestrina ? C’est le credo du temps – celui des peintres rétrospectifs comme les Nazaréens – mais en rien celui de Berlioz : « Qui me prouvera, par exemple, que l’Ave verum de Mozart, écrit dans la tonalité moderne avec les harmonies et les modulations modernes, n’exprime pas le sentiment religieux le plus profond, le plus exalté dans son calme infini, dans son amour extatique ? »
Et pourtant. La nouvelle composition, qu’il qualifie plaisamment de « petite sainteté », donne à presque tous ses auditeurs d’alors la sensation qu’il s’est enfin assagi. Parce que l’orchestre n’est plus démesuré, qu’on n’y entend nul fracas de cuivres ou de timbales : « C’est en général si naïvement doux de coloris et de formes, que je ne vois pas trop comment trouver ici des chanteurs capables de le rendre fidèlement ». Il a beau assurer qu’il n’a fait que changer d’idée, non de style, il surprend comme, au fond, toute sa musique ne cesse de dérouter, lors même qu’on croit la connaître. Il trouve même moyen d’employer quelquefois des modes du chant grégorien ou de terminer son oratorio par un chœur sans accompagnement, de manière si originale qu’on éprouve l’étrangeté sans la moindre impression d’archaïsme académique.
Et pour narrer L’enfance du Christ il demeure avant tout dramaturge. D’abord en écrivant lui-même les paroles, aussi grand poète que musicien :
Les pèlerins étant venus En un lieu de belle apparence Où se trouvaient arbres touffus Et de l’eau pure en abondance, Saint Joseph dit : « Arrêtez-vous Près de cette claire fontaine ; Après si longue peine Reposons-nous ».
Surtout en agençant l’histoire en trois parties, Le songe d’Hérode, La fuite en Ėgypte, L’arrivée à Saïs, composées de tableaux juxtaposés qui reprennent les motifs classiques de la peinture de toujours, soit ; mais justement pas toujours. Ce sont les bergers qu’on entend devant la crèche et non les Rois mages, le Massacre des innocents n’est pas non plus figuré autrement que dans le songe angoissant d’Hérode. En revanche presque toute la troisième partie est consacrée à l’accueil de la Sainte famille par les Ismaélites (thème moins souvent imagé), lesquels font entendre en particulier un ravissant petit concert pour deux flûtes et harpe, unique et idéale contribution de Berlioz à la musique de chambre.
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